CINEMA

ORANGE MÉCANIQUE de Stanley Kubrick : le choix du mal ?

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Alex DeLarge (Malcolm McDowell) est un jeune délinquant assumant totalement son penchant pour l’ultra-violence. Il n’en finit plus de sécher les cours pour s’offrir des virées nocturnes avec ses « droogs » (« amis » en français, Alex emploie plusieurs fois dans le film un argot anglo-russe). Au programme : humiliation de SDF, agressions, viols, affrontements avec des bandes ennemies, entrée par effraction dans de luxueux appartements…

Alex n’en est pas à ses premiers délits, les autorités gardent déjà un œil sur lui. Et une bricole pourrait vite lui arriver : ses potes commencent à être lassés de son écrasante autorité. Traitant parfois ses droogs comme des moins que rien, le jeune homme ne semble plus avoir de limites. Alors qu’une effraction chez une inconnue tourne mal (Alex la tue avec un objet déco/design phallique) , la bande se divise. Alex est retrouvé seul, ses collègues l’ont abandonné. Il est condamné à 14 ans de prison. Pour se sortir de là, le bad boy est prêt à tout : il fayote avec le Père du coin, il se porte même volontaire pour une mystérieuse expérience.

Retenu, Alex devient alors un cobaye. On lui fait des piqures et on le contraint à regarder différents films qui ont pour vocation de l’amener à un rejet, une impuissance, face à n’importe quelle sorte de violence ou de « pêché ». Et tout cela marche : Alex finira comme un enfant traumatisé quand on le molestera, il sera même dégoûté des femmes et de son artiste favori : Beethoven. Remis en liberté, il sera confronté à la violence du monde. Autrefois bourreau, il va devenir victime…

Film culte pour bien des générations, Orange Mécanique fait partie de ces œuvres « cool » que chaque jeune se doit d’avoir vu au moins une fois. Pourquoi un tel succès auprès des teenagers et étudiants ? Probablement le côté rebelle du héros, le côté sulfureux du scénario (une adaptation assez libre et osée de l’œuvre d’Anthony Burgess) , la violence visuelle…Stanley Kubrick a surtout créé un véritable univers pour narrer les aventures d’Alex. C’est à la fois très 70’s et futuriste, une sorte de parenthèse intemporelle, un cauchemar non daté. Le cinéaste est en totale maitrise de son art, nous bluffe avec des travellings époustouflants et des plans ressemblant à de véritables tableaux. Le travail sur les décors et les costumes/accessoires est impressionnant et il règne définitivement durant toute la durée du métrage une atmosphère unique, incomparable. Un mélange de jouissance (la violence défoule, Alex ose ce que beaucoup retiennent toute leur vie) et d’effroi (certaines scènes sont plutôt difficiles à supporter – la gratuité totale de la violence, le sadisme des jeunes étant parfois poussés à l’extrême).

Pourquoi tant de haine ? On ne peut vraiment l’expliquer : Alex a grandi dans une famille plutôt aisée, non violente. Il ne manque de rien. C’est juste un rebelle dans l’âme. Un rebelle aux idées fâcheuses, extrêmes. Il a juste choisi d’embrasser le mal et c’est cela qui fascine : pas d’explication psy de comptoir, juste une violence presque naturelle, qui nous échappe (comme celle, quelque part, s’étant déployée lors de la Seconde Guerre Mondiale). Une haine ici supposée face à une société bourgeoise, absurde, où l’on pointe les délinquants mais où les hauts dirigeants et les autorités ne font pas mieux. Un monde corrompu, injuste. Et si tout est injuste, et si on ne croit plus en rien, alors pourquoi pas basculer pour de bon du « mauvais côté » ?

Comment réagir face au mal ? La « justice » envoie « les méchants » en prison. Le film montre bien que des années d’enfermement ne servent pas à grand-chose. Alors vient la méthode du conditionnement. Mais conditionner quelqu’un, tenter de le rendre malgré lui inapte à la violence ou au vice, c’est un crime. C’est le priver de son humanité, de sa possibilité à faire des choix. Alex ne sera plus qu’un misérable pantin, un être vulnérable qui, comble de la malchance, sera amené à recroiser tous ceux qu’il a fait souffrir. Et chacun en profitera pour lui rendre la monnaie de sa pièce. Loi du Talion.

C’est au final une œuvre extrêmement sombre que livre Stanley Kubrick, une œuvre où tout le monde est condamné. Car tout le monde est à sa façon monstrueux, injuste, pourri (les parents d’Alex qui le rejettent lors de son retour puis reviennent parce qu’ils ont lu dans la presse qu’il était peut-être une victime…). Plus aucune foi ne serait possible dans ce monde obscur où les violences sourdes détruisent autant que celles plus visibles, où chacun sadise ou se laisse sadiser à sa façon. Terrible constat pour un film qui même après plusieurs visions (et quelques petites longueurs sur la fin) reste un énorme coup de poing.

Film sorti en 19871. Disponible en VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3