CINEMA

PARTY GIRL de Marie Amachoukeli, Claire Burger & Samuel Theis : le prix de la liberté

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Angélique a soixante ans. Elle passe ses nuits dans un cabaret à la frontière allemande. Son travail consiste à séduire et faire boire les clients. Elle a fait ça toute sa vie mais aujourd’hui son charme opère moins qu’avant. Un tournant se profile, elle le sent.

Ainsi va-t-elle un jour rendre visite à Michel, un ancien client régulier qui n’est plus venu la voir depuis un moment. Attaché à elle, amoureux même, il avoue avoir pris ses distances car il ne voulait plus avoir à payer pour la voir. Elle parvient à l’amener à revenir au cabaret et ils passent aussi du temps ensemble à l’extérieur. Un soir, il la demande en mariage. Angélique, émue, accepte bien qu’elle soit consciente que cette union va bouleverser son quotidien. Elle va devoir quitter le cabaret, ses collègues et copines de toujours, tourner le dos aux nuits alcoolisées, au monde de la nuit, pour se fondre dans le jour.

Ce nouveau départ contient son lot de belles promesses : pour la première fois, l’entraîneuse se consacre à un seul homme, emménage dans un grand appartement, fait « les choses comme il faut ». Les préparatifs du mariage sont l’occasion de renouer avec ses quatre enfants (de pères différents et parfois non identifiés), avec lesquels elle entretient des rapports plus ou moins apaisés ou conflictuels. Elle retrouve notamment sa petite dernière ,Cynthia, qui lui avait été enlevée pour être placée dans une famille d’accueil.

Heureuse et touchée de pouvoir enfin réunir ceux qui lui sont chers, de ne pas à avoir honte de qui elle est, Angélique est toutefois nerveuse. Elle n’est pas certaine d’être amoureuse de Michel, a du mal à composer avec le fait qu’il mène une vie de retraité un peu trop rangée à son goût…

party girl film

Claire Burger, Samuel Theis et Marie Amachoukeli avaient déjà collaboré ensemble pour des courts-métrages. On se souvient notamment du magnifique Forbach, dont ce Party Girl semble être le prolongement (on retrouve la Lorraine mais aussi Sonia Theis, mère du réalisateur-acteur Samuel Theis, présentée ici sous le nom de Angélique Litzenburger). C’est à l’évidence un récit très personnel, une fiction qui travaille la réalité, où les acteurs, qui interprètent leur propre rôle, sont majoritairement non professionnels. Et disons-le d’emblée : ce premier long-métrage est l’une des choses les plus fortes et les plus émouvantes que le cinéma français avait proposé lors de l’année 2014.

Nous pénétrons dans l’univers d’Angélique, la soixantaine radieuse, évoluant dans le monde de la nuit à la frontière allemande. Le cabaret où elle exerce son travail pas commun est filmé à la fois de façon sensuelle et sans forcer le trait du glamour, avec un certain regard documentaire. Le trio de réalisateurs nous invite à contempler des personnages et des décors comme on en voit peu au cinéma. Les différents protagonistes sont tous criants de vérité, avec un accent typique, la Lorraine est montrée de façon brute, sans jamais chercher à faire joli.

C’est le portrait hyper sensible, tout en nuances, précis, d’une femme à laquelle on s’attache terriblement, dont on partage les doutes, les angoisses, les rêves et les regrets. Angélique est très humaine, entière, et est bien consciente qu’elle a fait des erreurs dans sa vie. Elle a foncé, ne s’est pas posé de questions, a suivi ses envies, sans forcément rendre de comptes. Son travail, elle l’aime. Quitter le cabaret est d’ailleurs un véritable déchirement. Elle est arrivée à un moment de sa vie où le changement s’impose. A 60 ans, elle ne peut plus séduire comme avant, doit faire face à la menace de la solitude. Elle n’a jamais cotisé, l’avenir est incertain. Vulnérable, elle trouve du réconfort et bien plus auprès de Michel, client un peu nounours au grand cœur, qui la voit sans la juger, qui l’aime en toute sincérité. Michel est sa chance de quitter le cabaret pour se renouveler, avant qu’il ne soit trop tard.

Mais pour cette femme qui s’est toujours débrouillée toute seule et qui n’est pas du genre à se laisser faire ou se conformer, le quotidien de retraité planplan et les compromis ne sont pas faciles à aborder. Elle veut y croire, elle se force, mais elle n’est pas certaine d’être sur la bonne route, celle qui lui correspond, celle qu’elle pourrait suivre en étant totalement en accord avec elle-même. Angélique a 60 ans mais elle n’est pas sage, ne sait pas encore vraiment ce qu’est l’amour et a peur de se tromper, de mentir à celui à qui elle s’apprête à dire oui, à ses proches, à elle-même.

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Ce que l’on ressent face à ce magnifique portrait de femme n’est pas toujours évident à qualifier. C’est d’une telle justesse, d’un réalisme troublant (j’ai moi-même grandi en Lorraine et j’y retrouve tellement de proches, de personnes de ma famille, ai été sidéré par la façon de si bien capturer les lieux et la drôle d’ambiance, les sensations parfois anxiogènes qui en émanent) et en même temps extrêmement cinématographique, superbement écrit et incarné. L’ensemble est captivant, intense, et il est difficile de retenir ses larmes face à certaines scènes (les déclarations d’amour des enfants lors du mariage notamment – une scène frontale, risquée, bouleversante). Les liens qu’entretient Angélique avec ses copines, avec Michel, avec ses différents enfants (celle qu’elle n’a plus vu depuis des années et qui est devenue une jolie jeune fille, le fils préféré qui est monté à Paris et chez lequel elle rêverait de vivre…) sont très forts, contribuent à donner au film une teneur très universelle.

Il n’y a pas d’âge pour se remettre en question, pour recommencer, pour se tromper. A 60 ans, c’est forcément plus compliqué, délicat, car on a l’impression de louper sa dernière chance, de tout casser sans avoir peut-être la possibilité de reconstruire après. Si Party Girl et son merveilleux personnage nous touchent autant, c’est parce qu’ils ne nous racontent pas de salades. C’est la vie, transcendée par la puissance de la fiction, avec ses doutes, ses contradictions. C’est le portrait d’une femme qui ne peut pas faire semblant, qui tranche quitte à (se) faire mal, libre, avec ses qualités et ses défauts. Indécise en amour, Angélique se révèle avant tout ici comme une maman à fleur de peau, qui voit son rêve de réunir les siens dans un climat apaisé se concrétiser. Une grande révélation de cinéma à tous les niveaux, déjà couronnée à Cannes 2014 (ouverture de la section Un certain regard dont le jury lui a décerné un « Prix d’ensemble » / Lauréat de la Caméra d’or)

Film sorti en 2014 et disponible en VOD 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3