CINEMA

PAS DE PRINTEMPS POUR MARNIE de Alfred Hitchcock : contre les hommes

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Dans un bureau, la panique : un homme , Sidney Strutt, s’est fait dérober des milliers de dollars par sa belle secrétaire brune qu’il admirait jusqu’alors. On retrouve la demoiselle (Tippi Hedren), dans une autre ville, changeant de nom et de couleur de cheveux. Après une visite chez sa mère avec laquelle elle entretient une relation tendue et faite de non-dits, la jeune femme cherche un nouveau poste. Elle est engagée comme secrétaire comptable dans l’entreprise du richissime Mark Rutland (Sean Connery). Va-t-elle commettre un nouveau vol ? Ce qu’elle ignore, c’est que Rutland la connaissait déjà – il était un collaborateur de Strutt. Et s’il engage celle dont le véritable prénom se révèlera être Marnie, c’est avant tout pour se livrer à un curieux jeu pervers.

Passionné de zoologie et de psychologie, le riche hériter, veuf depuis peu de temps, compte bien suivre à la trace la jolie secrétaire aux pulsions cleptomanes à priori incontrôlables. Alors qu’un après-midi l’orage gronde, Marnie s’effondre et révèle sa vulnérabilité. Mark la prend dans ses bras, entame avec elle une liaison platonique. Mais quelques temps plus tard, la blonde énigmatique reproduit son schéma habituel : elle vole le coffre fort de l’entreprise et disparaît. Mark, intelligent et organisé, parvient rapidement à la retrouver et lui propose un étrange marché : il ne la dénoncera pas à la police, épongera ses dettes et vols précédents si elle l’épouse. Marnie accepte mais doit pour le coup composer avec les incessantes avances de celui qui devient son mari. Constatant à quel point elle est névrosée et frigide, le beau Mark va faire tout son possible pour l’analyser, trouver la « racine du mal »…

pas de printemps pour marnie film

Adaptation d’un roman de Winston Graham, thriller psychologique reconnu comme l’une des plus grandes œuvres d’Hitchcock, Pas de printemps pour Marnie obsède dès les premières scènes. Une voleuse est en cavale. On ne découvrira son visage qu’au bout de quelques minutes, après qu’elle ait changé de couleur de cheveux. Magnifiée et fétichisée dès les premiers plans, Marnie a tout de la femme fatale, en apparence indomptable, indépendante, pleine d’assurance et refusant de se laisser submerger par ses sentiments. Mais le vernis craque vite. Déjà une relation plus que compliquée à sa mère. Quand elle va lui rendre visite, elle ne supporte pas la présence d’une petite fille qui passe son temps chez elle. Elle reproche à sa mère de ne jamais l’avoir aimée comme elle aime cette « étrangère ». Les deux femmes sont assurément gênées, ont dans le placard un secret que l’on devine terrible. Sauf que la mère a bien en tête « l’incident » qui a changé le cours de leur vie et que Marnie a tout oublié. Ou presque. Sa mémoire lui joue des tours, elle fait fréquemment des cauchemars où des hommes semblent s’en prendre à sa génitrice. Et elle a également une peur bleue de l’orage et en horreur la couleur rouge.

Mark Rutland, homme séduisant et plein aux as, est rapidement fasciné par cette femme dont le comportement lui échappe. Plus elle le rejette, plus elle agit comme il ne faudrait pas, et plus on voit dans son regard de la tendresse ou de l’excitation. Quand il l’embrasse, ses lèvres imposantes semblent prêtes à l’aspirer. Contraignant la belle névrosée à l’épouser, Mark joue à un jeu dangereux et qui lui coûtera beaucoup d’argent. Mais à ses yeux ce jeu en vaut sûrement la chandelle. Jouant les analystes, se prenant un peu pour Dieu aussi, il peut aux côtés de Marnie s’imposer comme un sauveur, un homme dominateur. Mais avant de mettre le doigt sur la source des névroses de sa femme, un long parcours l’attend.

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C’est que Marnie a hérité de sa mère une profonde haine, une phobie des hommes. Fricoter avec eux ne l’intéresse pas, l’acte sexuel la dégoûte. Elle ne semble aimer de masculin que les chevaux. Elle est ainsi très attachée à Forio, un cheval qu’elle suit depuis qu’elle est toute petite et qu’elle sera amenée à tuer après un accident. Un événement traumatisant qui plus que jamais la ramènera à ses douleurs passées. A la fin du film, alors qu’elle se laisse envahir par une énorme crise, Marnie retrouvera sa voix de petite fille et sa véritable histoire.

Entre thriller, analyse et histoire d’amour flamboyante, perverse et hors norme, Pas de printemps pour Marnie est une œuvre qui donne le vertige. On retient les crises de Marnie et puis ce rouge qui envahit l’écran. Rouge de la passion destructrice, du sang du crime mais aussi de la première fois. Les rapports charnels tâchent et génèrent l’angoisse.  Il y a aussi l’orage, la grâce figée de l’héroïne qui tout d’un coup devient sauvage, hystérique.

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Une tension sexuelle malsaine règne tout le métrage durant. Et petit à petit, Mark Rutland se révèle être un « cas » tout aussi intéressant que celui de Marnie. Lui qui peut tout avoir, a jeté son dévolu sur la fille la plus troublée du monde. Il désire l’insaisissable, contemple sa dérive avec un air supérieur, presque excité. Comment oublier cette scène où son regard pénétrant saisit la belle, apparaissant immobile, contrainte ? On hésite entre sommet de romantisme et troublante perversité, fétichisme ô combien tordu.

Passionnant et possiblement éprouvant, d’une élégance folle (débauche de couleurs, multiples recours à la caméra subjective qui rend l’ensemble sensoriel, empathique et donc encore plus dérangeant), porté par la musique magnifique et entêtante de Bernard Hermann, le duo Tippi Hedren / Sean Connery (ici plus sexy que jamais) : Pas de printemps pour Marnie est sans aucun doute l’un des portraits de femme les plus habités, les plus fous et les plus obsédants qu’on puisse voir sur un écran.

Film sorti en 1964. Disponible en DVD et VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3