FICTIONS LGBT
PASSING STRANGERS de Arthur J. Bressan Jr. : rencontre gay heureuse dans les seventies
Premier long-métrage de Arthur J. Bressan Jr. , Passing Strangers est un film gay adulte pas comme les autres qui raconte la rencontre entre un mec de 28 ans adepte de crusing et un minet faisant ses débuts dans le milieu gay de San Francisco. D’une étonnante poésie.
San Francisco, début des années 1970. Tom (Robert Carnagey) est adepte du cruising gay et passe son temps à draguer dehors directement dans la rue à Polk Street ou à enchainer les soirées torrides dans des saunas ou sexclubs. S’il admet adorer ça, il aspire au fond à quelque chose d’autre. C’est sans doute ce qui l’a poussé à publier une annonce dans un journal gay pour rencontrer un autre mec. L’annonce, décalée, poétique (Tom a copié un poème de Walt Whitman) attire l’attention d’un jeune homme des environs, Robert (Robert Adams). Fraichement majeur et découvrant tout juste le milieu gay, Robert a été séduit par cette annonce sophistiquée.
Le film nous fait pénétrer dans l’intimité de Tom et de Robert au fil de leurs correspondances. Ils s’envoient des lettres, partagent leurs pensées, le récit de leurs solitudes respectives. Pendant que Tom s’amuse en chassant de beaux mâles, Robert découvre amusé le monde gay, notamment à travers un sexshop et un cinéma x. Il se trouve justement que le meilleur ami et confident de Tom, Arty (campé par Arthur J. Bressan Jr) , y travaille comme projectionniste.
Après s’être oubliés, avoir rêvassé ou fantasmé, Tom et Robert décident de se rencontrer. Le temps d’un après-midi ensoleillé à Angel Island se déploie une évidence : il y a une alchimie instantanée, de l’amour dans l’air. Ils s’amusent et Tom initie Robert dans la nature. Moment hors du temps, coeur qui bat la chamade et corps en ébullition. On les voit également se balader lors de la marche du Gay Freedom Day de 1974…
Avec talent et une mise en scène sensible, inventive et sensorielle, Arthur J. Bressan Jr. nous fait vivre et ressentir la magie d’une belle rencontre, annulant les solitudes. Il montre avec ce long-métrage différents visages de la sexualité gay à travers la pornographie, le cruising, les rencontres sans lendemain, les plaisirs solitaires, les fantasmes, les songes et puis la passion qui va de pair avec les corps qui fusionnent portés par les sentiments.
Le pont est évident entre ce film et celui du même auteur qui suivra plus tard, Forbidden Letters : on y retrouvera le même jeune comédien Robert Adams et Arthur J. Bressan Jr. y reprendra des motifs et des situations, parfois jusqu’à l’identique. Mais là où dans Forbidden Letters les envolées poétiques et charnelles seront de l’ordre du souvenir mélancolique, ici les choses se ressentent au présent comme une promesse magnifique. La bande-originale est sublime, la photographie aussi et si on peut avoir quelques réserves sur Robert Adams qui fait très jeune et un peu poupon, Robert Carnagey avec son regard rêveur et ses cheveux bouclés irradie l’écran.
Le réalisateur capte quelque chose de l’errance des gays dans les années 1970, se libérant avec leurs corps dans un paysage urbain plein de possibilités lubriques mais où il reste encore à apprendre à s’aimer et à oser aimer. Il raconte aussi avec sensibilité les débuts dans la vie gay d’un minet précoce, à la fois excité, fasciné par ce nouvel univers et un peu apeuré aussi face aux autres mâles qui peuvent s’avérer être de véritables loups.
À une époque où les représentations heureuses de l’homosexualité manquaient cruellement à l’écran, cette fiction « explicite » surprenante nous emporte vers les cieux de l’hédonisme et du romantisme avec une grâce peu commune. Jusqu’à un final d’une sincérité apte à mouiller les yeux.
Film sorti en 1974 et disponible sur Pinklabel