CINEMA

PHOENIX de Christian Petzold : plus jamais les mêmes

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Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, Nelly (Nina Hoss) revient d’un camp de concentration, épaulée par une amie. Elle avait été laissée pour morte, elle a survécu comme par miracle mais une balle l’a défigurée. Alors qu’elle s’apprête à être opérée et qu’on lui propose de « choisir son visage », elle insiste pour rester la même, que le chirurgien l’aide à retrouver le plus possible l’image de celle qu’elle était avant de subir toutes ces atrocités.

Les jours passent, Nelly découvre sa nouvelle tête, proche de l’ancienne mais tout de même légèrement différente. Elle ne vit plus que pour une chose : retrouver son mari allemand, Johnny (Ronald Zehrfeld). Son amie la met en garde : il pourrait l’avoir trahie et avoir contribué à son périple dans les camps. Elle ne veut rien entendre et part à sa recherche.

Un soir, dans un bar nommé Phoenix, celle qui était chanteuse avant que tout ne dérape, retrouve l’homme de sa vie. Il ne la reconnaît pas mais note la ressemblance avec sa femme qu’il pense morte. Il lui propose de se faire passer pour elle afin de récupérer son héritage. Nelly accepte…

Les drames portant sur la Seconde Guerre Mondiale et leurs traumatismes sont légion dans l’histoire du cinéma. Christian Petzold, sans chercher à tout prix à faire dans l’originalité, nous entraîne avec Phoenix au cœur d’une quête toute personnelle. Celle de Nelly, ancienne chanteuse, coquette et rieuse, qui revient en Allemagne avec le visage bandé. Nous suivons sa renaissance, forcément pas évidente.

Dans les rues, personne ne se sent encore vraiment en sécurité, règne une atmosphère bizarre, entre soif de liberté, de renouveau, et anxiété. Alors qu’elle ne reconnaît plus rien dans son quotidien (toute sa famille a été tuée / les endroits au cœur desquels elle évoluait ont été pour la plupart détruits, bombardés / son propre visage suite à son opération n’est plus tout à fait le même), elle espère pouvoir se rattacher à l’homme qu’elle aime. Johnny est sans l’ombre d’un doute ce qui la fait encore tenir debout, ce qui lui donne de l’espoir.

Il ne la reconnaît pas, lui propose de jouer sans le savoir son propre rôle afin de toucher son héritage. Elle accepte, c’est l’occasion pour elle de se confronter à une vérité qu’elle n’est pas tout à fait certaine de vouloir entendre mais qu’elle sait nécessaire. Cet homme qu’elle aime et avec qui elle a en quelque sorte l’opportunité de refaire connaissance est-il un traître ? Et si oui ,à quel point ? A-t-il des remords ?

Petit à petit, teinté d’un drôle de fétichisme, un lien troublant s’instaure entre eux. Et la « femme fantôme » de se confronter à son désir, son besoin d’être à nouveau avec la seule personne qu’elle aime et qui est encore en vie, et l’amère constatation qu’il n’est peut-être pas aussi bon et fort qu’elle ne le pensait.

A travers son histoire d’amour meurtri, Christian Petzold raconte avec beaucoup de subtilité la difficile réconciliation et cohabitation des victimes avec un pays où ils ne sentiront plus jamais les mêmes. L’écriture est belle, intelligente, émouvante. La mise en scène puissante, évoquant tout un tas de classiques du cinéma. Elégant, profond et mené d’une main de maître : indéniablement un des plus beaux films de son auteur.

Film sorti en 2015 et disponible en VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3