FICTIONS LGBT

POPPY FIELD (Câmp de maci) de Eugen Jebeleanu : enfermé

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Premier long-métrage du réalisateur Eugen Jebeleanu (dont on nous souffle à l’oreille qu’il est l’un des rares si ce n’est le seul réalisateur roumain ouvertement gay à l’heure de l’écriture de ces lignes), Poppy Field (Câmp de maci) suit la journée et surtout la soirée mouvementée d’un gendarme gay dans le placard. 

Roumanie. Cristi (Conrad Mericoffer) accueille chez lui son petit ami français avec qui il entretient une relation longue distance. Ce dernier aimerait qu’ils envisagent de se balader, de voyager ensemble, mais Cristi marque sa préférence assez nette pour rester à la maison et surtout rester le plus discret possible. Quand la soeur de Cristi débarque à l’improviste, se trouvant nez à nez avec les deux amants, Cristi est particulièrement gêné. Sa soeur essaie de détendre l’atmosphère mais Cristi a bien du mal à l’évidence à vivre sereinement sa relation amoureuse. 

L’heure d’aller travailler finit par arriver et l’on découvre que Cristi officie comme gendarme. Son équipe est 100% masculine et viriliste. Personne ne se doute de l’orientation sexuelle de Cristi qui feint d’être hétéro. La gendarmerie est sollicitée pour une mission dans un cinéma où une projection d’un film lesbien a été interrompue par un groupe d’ultranationalistes homophobes. Dans la salle c’est la cacophonie : le public de spectateurs LGBT essaie de faire valoir ses droits face à des extrémistes qui déblatèrent des horreurs. Les collègues de Cristi tentent de tempérer les confrontations électriques tandis que ce dernier n’est pas serein. Il devient particulièrement nerveux quand l’un des spectateurs, un ancien amant, le reconnait et le confronte à son hypocrisie. Craignant que le garçon l’affiche devant tout le monde, Cristi perd le contrôle et devient violent : il lui met un coup. Ses collègues interviennent et vont interroger la victime. 

Craignant qu’à tout moment son ancien amant ne révèle son secret, Cristi attend, de plus en plus inquiet… 

poppy field film

Avec une certaine tension, Poppy Field nous fait ressentir le terrible enfermement d’un gay roumain et gendarme convaincu (probablement à raison de ce que nous montrent les images) qu’il ne peut pas vivre normalement son homosexualité. 

L’enfermement de Cristi se ressent à la fois le temps de sa journée avec son petit ami (malgré les doux instants d’intimité, on sent qu’il y a quelque chose d’étouffant à rester cloitré dans cet appartement – sensation décuplée par le mal-être palpable du beau roumain dans le placard) que lors d’une soirée musclée en altercations. Le film s’inspire d’un événement survenu en Roumanie : une projection du film The kids are alright avait été interrompue par un groupe d’extrémistes. 

L’oeuvre de Eugen Jebeleanu est assurément douloureuse, parfois éprouvante (le personnage principal fait franchement mal au coeur) et repose beaucoup sur l’interprétation de son comédien principal, Conrad Mericoffer, dont le jeu très intériorisé montre parfaitement les fêlures d’un homme prisonnier d’une société asphyxiante mais aussi de ses propres peurs. On peut dire que quelque part le système dans lequel Cristi évolue finit doucement mais sûrement par faire de lui un petit monstre en puissance. La violence et la pression psychologique qu’il subit engendrent des actes violents de sa part : il sabote sa relation amoureuse et maltraite un gay qui le renvoie à sa peur d’être découvert. Il n’y a rien de plus triste qu’un homme qui ne s’assume pas au point de finir par se renier et possiblement se détester. 

poppy field film

Si le personnage de Cristi se livre à des actes peu glorieux, son interprète subtil parvient toujours à nous faire ressentir sa douleur, sa détresse intérieure et donc suscite l’empathie. 

Jouant de façon habile sur l’enfermement, précis dans son écriture, nerveux dans sa mise en scène, le film n’est pas des plus agréables à regarder de par la dureté de son sujet mais provoque l’émotion en même temps que le désarroi. 

Film produit en 2020 et présenté lors de la 27ème édition du Festival Chéries Chéris . Sortie en salles le 28 septembre 2022

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3