FICTIONS LGBT

PORNOMELANCOLÍA de Manuel Abramovich : pulsions et précipice

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Avec Pornomelancolía, le réalisateur argentin Manuel Abramovich dresse le portrait d’un beau trentenaire moustachu qui va progressivement faire du sexe son métier. Jusqu’à plonger dans un certain chaos affectif et existentiel… 

Argentine. Lalo (Lalo Santos) vit de petits boulots souvent pas très bien payés. Assez porté sur le sexe, actif et bien doté par la nature (outre ses beaux traits de visage et sa moustache bien fournie, il a de solides arguments), pendant son temps libre il aime faire des selfies hot et les partager sur ses réseaux sociaux, Twitter en particulier. 

Un jour, il découvre une annonce pour tourner dans un film porno en costumes. Il postule et est rapidement sélectionné pour y camper une version parodique du révolutionnaire Emiliano Zapata. Découvrant l’univers des tournages adultes, Lalo se laisse dans un premier temps fasciner et sympathise avec l’équipe. Mais alors que le tournage se poursuit, que sa côte monte sur les réseaux et qu’il devient progressivement un « sex influencer » , il commence aussi à voir les revers qui jalonnent le quotidien des travailleurs du sexe en ligne… 

pornomelancolia film manuel abramovich
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Pour ce long-métrage introspectif, Manuel Abramovich joue avec les frontières entre documentaire et fiction. Le sujet de son long-métrage est en effet le sexy Lalo Santos qui dans la vraie vie est suivi par plusieurs centaines de milliers de personnes sur Twitter pour son contenu chaud bouillant. 

À l’évidence, l’histoire du performer a beaucoup nourri cette fiction et permet de retranscrire avec une certaine véracité le quotidien d’un sex-influenceur d’aujourd’hui. La trajectoire de Lalo dans le film n’est aujourd’hui plus si banale : galérant à gagner sa vie, fatigué du système et des petits boulots ingrats, il décide de faire de sa passion du sexe et ses atouts physiques un moyen de gagner de l’argent facile. 

pornomelancolia film manuel abramovich
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Avec sa belle gueule cinégénique et sa faculté à jouer les machos dominants, il fait rapidement sensation sur le premier plateau de porno qu’il intègre. Avec une bonne dose d’humour, Pornomelancolía montre les coulisses du tournage d’un film adulte sur fond de révolution, avec toutes les situations et dialogues improbables que cela peut comprendre. Une réelle camaraderie se tisse entre les performers, l’aspect film permet de goûter au jeu d’acteur, d’apprendre les rouages. Mais l’expérience va révéler aussi ce que ce milieu peut avoir de toxique (il y a des réalisateurs plus sains que d’autres et parfois la notion de consentement peut-être insidieusement bafouée et l’humiliation s’infiltrer). Dans le feu de l’action, pour bien faire, on a vite fait d’adopter un comportement limite. 

De ce tournage, Lalo va en tout cas apprendre. Il va réaliser qu’il peut faire du sexe un business et se lancer lui-même comme producteur de contenu adulte. Il finit ainsi par recruter des garçons sur les applis en leur demandant s’ils veulent bien être filmés et commence à vendre ses scènes « home made » avec un succès grandissant. Mais alors que l’argent ne devient plus trop un problème et que la popularité monte en flèche, la satisfaction n’est pas franchement au rendez-vous. En faisant du sexe son gagne pain, en vendant son image, Lalo se retrouve confronté au vertige très contemporain des réseaux sociaux. 

pornomelancolia film manuel abramovich

Des centaines et des milliers de garçons lui envoient des emojis ou lui crient leur désir en messages privés. Il multiplie les partenaires pour des performances musclées. Mais Lalo se sent au final assez seul. A l’ego trip satisfait se mêle un sentiment de vacuité, une certaine solitude, un goût de mélancolie. 

Manuel Abramovich est assurément happé par son sujet sexy qu’il filme comme un héros porno d’un côté, diablement bestial et stimulant, et comme un homme-enfant sensible au regard doux et déchirant de l’autre. Avec finesse, ce long-métrage capte l’ambiguïté d’un pays, d’une Histoire, d’un homme face à sa soif de s’en sortir, ses pulsions, son ego et ses aspirations profondes. 

Film produit en 2022 et présenté au Festival Chéries Chéris 2022 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3