FICTIONS LGBT

PORT AUTHORITY de Danielle Lessovitz : le complexe du petit blanc

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Premier long-métrage de la réalisatrice Danielle Lessovitz, Port Authority nous plonge dans un New York contemporain ou les laissés pour compte continuent de rêver et de chercher leur voix. Avec au premier plan le début d’une histoire d’amour entre un petit blanc hétéro et une jeune femme trans.

Paul (Fionn Whitelead, déjà vu dans « Dunkerque » de Christopher Nolan ou « Black Mirror Bandersnatch ») arrive à New York et attend en vain sa demi-soeur qui devait l’héberger. Elle n’est pas là et il n’a pas son numéro. Complètement seul dans cette ville qu’il ne connait pas, sans argent, il se prépare à dormir dans le métro. Mais une bande de voyous l’agresse en voulant lui voler son portable. Paul est secouru par Lee (McCaul Lombardi), qui se présente comme un bad boy au grand coeur. Lee le prend sous son aile, l’aide à trouver un lit dans un centre et l’entraîne dans ses petites combines pour gagner un peu d’argent chaque jour.

Paul voit assez rapidement les travers de Lee, notamment une homophobie qu’il clame ouvertement. Paul n’est pas gay mais il se laisse de plus en plus fasciner par une bande de danseurs de voguing qui traînent dans les environs. Un des danseurs dort au centre et Paul est fasciné quand il le voit répéter. Attiré par cet univers, le jeune homme s’incruste dans une salle où les danseurs se préparent avant une compétition. Il n’y est pas franchement le bienvenu. Il y croise toutefois Wye (Leyna Bloom) une belle jeune femme qui l’attire instantanément.

S’il continue de se mouiller dans des affaires assez sombres avec Lee pour survivre et garder un toit, Paul s’évade en compagnie de Wye avec qui il commence une histoire d’amour. Mais l’un comme l’autre ne se disent pas totalement la vérité. Paul n’assume pas son statut, celui d’un jeune homme à problèmes qui a eu des soucis avec la justice, n’a pas de logement ni d’argent et prétend être quelqu’un d’ordinaire qui vit chez sa soeur aisée. Wye ne mentionne pas qu’elle est une femme trans. Leurs sentiments vont être mis à rude épreuve, notamment à cause de l’incapacité de Paul à montrer qui il est vraiment.

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Port Authority reprend les canevas narratifs de certains films d’amours contrariés à thématique gay sauf qu’aujourd’hui c’est une histoire entre un garçon hétéro et une femme trans qui est projetée à l’écran. La réalisatrice se moque doucement de la naïveté du jeune Paul qui pénètre ,fasciné, dans la culture voguing sans se douter que Wye est une fille trans. La relation entre les deux personnages est très belle, pudique, moderne.

On est face à un cinéma américain qui regarde droit dans les yeux les laissés pour compte d’un New York sauvage où les pauvres se battent entre eux et où l’important chaque matin est de trouver une façon de survivre et de garder un toit au-dessus de la tête. La dureté du quotidien est contrebalancée par l’univers du voguing, filmé ici avec un angle plus réaliste que ce que peut montrer la série « Pose ». Les jeunes LGBT abandonnés par leur famille vivent entassés dans des petits appartements et espèrent gagner des compétitions de danse pour payer le loyer. Au coeur des balls, on se maquille, on fait péter les couleurs et le glam et on rêve de lendemains meilleurs.

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Tout le long-métrage se suit à travers le regard de Paul qui sur le papier est un petit blanc privilégié mais qui se révèle au final bien moins solide que les LGBT qu’il côtoie. Il envie cette faculté que Wye et les siens ont de se recréer une famille et de former un cocon d’amour et de bienveillance où lui doit s’associer avec des voyous possiblement dangereux pour gagner sa croute. Choc d’univers opposés en théorie, fascination d’un jeune mâle hétéro pour un univers queer dont la fantaisie fait briller ses yeux.

Port Authority interroge assez subtilement la masculinité et montre surtout comment on peut si vite se laisser enfermer dans des cases, se mentir à soi-même et aux autres, se mettre la pression quand on a autour de soi des gens homophobes. Contrairement à d’habitude, c’est ici le petit hétéro qui se retrouve étouffé dans une spirale de secrets, de complexes et de peurs alors que Wye et les siens, par leur combativité et leur authenticité, s’affirment et restent droits malgré toutes les épreuves.

Les comédiens sont touchants, la mise en scène atmosphérique réserve de beaux instants de grâce et le charme lo-fi du film achève de nous séduire.

Film sorti le 25 septembre 2019

 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3