FICTIONS LGBT

PRAIA DO FUTURO (La plage du désir) de Karim Ainouz : se sentir ailleurs

By  | 

Brésil, Praia do Futuro (la plage du futur en VO). Konrad (Clemens Schick) est sur le point de mourir noyé suite à une baignade avec son petit copain. Grâce à un sauveteur, Donato (Wagner Moura), il s’en sort sain et sauf. Mais son compagnon , lui, reste sous l’eau. Au bout de plusieurs jours, l’évidence s’impose : on ne retrouvera pas son corps.

Frappé par cette atroce disparition, Konrad est perdu. Son sentiment d’égarement est renforcé par le fait qu’il entame une liaison avec Donato. Une liaison plutôt vécue dans la clandestinité, le sauveteur n’assumant pas son homosexualité.

Alors que Konrad s’apprête à repartir à Berlin, Donato, amoureux, décide de le suivre et de tout plaquer. Il délaisse alors sa terre natale, son travail et surtout son petit frère , Ayrton (Jesuita Barbosa), dont il est très proche.

Les années passent et les deux garçons vivent une grande histoire d’amour à Berlin. Mais le mal du pays et la culpabilité de Donato vis à vis de son frère qu’il a abandonné rendent souvent l’ambiance pesante…

praia do futuro la plage du désir

Articulé en trois chapitres, Praia do Futuro fascine dès ses premières plans par une mise en scène extrêmement maîtrisée et sensorielle. Karim Ainouz croit au pouvoir des images, à la force de la suggestion, et se passe souvent de mots pour évoquer ce qui anime ses personnages. La pudeur du film le rend à plus d’un moment bouleversant. Avec beaucoup de délicatesse, le cinéaste aborde des thèmes profonds comme le deuil, la difficulté d’assumer son homosexualité, l’abandon de ses origines, de sa culture au profit d’une nouvelle vie en terre inconnue, la passion, la culpabilité… On ressent le vide qui dévore Konrad quand il perd celui qu’il aime, le trouble de sa liaison inattendue et intense avec Donato, puis les contradictions qui s’emparent de ce dernier alors qu’il tente de s’intégrer à Berlin, de reprendre à zéro alors qu’il ne se sent pas tout à fait à sa place, que tout est en décalage.

Karim Ainouz propose une expérience de cinéma qui n’est pas sans rappeler par moments les premiers longs-métrages de Joao Pedro Rodrigues (même si l’on est ici dans quelque chose de plus sentimental, plus tendre). Le temps semble suspendu, les ellipses sont nombreuses, la caméra est fantomatique… De quoi donner l’impression de naviguer dans un rêve, de sentir physiquement l’étrange sensation de l’amour qui fait que subitement plus rien n’est pareil. Konrad et Donato apparaissent comme coupés du monde, dans une bulle qui les comble mais qui peut aussi les étouffer, leur donner le vertige. Chaque chapitre a ce qu’il faut de beauté et de mélancolie pour envoûter et le rythme singulier de l’oeuvre, assurément hypnotique, nous perd avec délice.

praia do futuro la plage du désir

Ponctué de scènes d’un érotisme foudroyant, jouant avec l’abstraction, les douleurs sourdes et les propres souvenirs du spectateur, Praia do Futuro est de ces films qui touchent à des choses profondes et très intimes par surprise. Dans le jeu cruel de la vie, les choix que l’on fait par amour ou pour soi peuvent parfois se retourner contre nous, blesser ceux que l’on voulait épargner. On ressort de la salle sonné. Un beau voyage, audacieux et poétique.

Film sorti en 2014. Disponible en DVD et VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3