FICTIONS LGBT

RABIOSO SOL, RABIOSO CIELO de Julian Hernandez : l’amour promis

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Mexique. Une femme mystérieuse (Giovanna Zacarias) déambule dans les rues et entend les pensées des personnes qui évoluent autour d’elle. Un soir, sous la pluie, son regard croise celui , doux et innocent, de Ryo (Guillermo Villegas). Ils font l’amour et elle lui prédit la rencontre d’un compagnon. La femme se révèle être une figure divine. De Ryo et son amour annoncé pourra dépendre le sort du monde. Après cette nuit, Ryo reprend sa vie et cherche celui qui pourrait être l’homme de sa vie. L’élu est Kieri (Jorge Becerra), très beau brun qui ne semble pas particulièrement chercher l’amour. Il accumule les rencontres furtives, flâne dans les toilettes publiques, traîne dans un cinéma porno, toujours en quête de plaisir. Dans les parages se trouve également Tari (Javier Olivan). Lui aussi témoigne d’une sexualité relativement débridée. Il en a après Kieri, qui le remarque à peine, le fuit. Puis surgit un mélange d’amour et de jalousie quand Tari comprend que Kieri et Ryo sont promis à un amour absolu. Après une longue errance, les deux garçons finissent par se retrouver nez à nez. Mais leur amour sera mis à rude épreuve entre les doutes de Kieri, incarnant presque à lui seul la luxure, peu disposé à laisser entrer l’amour dans sa vie, et un Tari vengeur. Le réel va se confondre avec le divin, le présent avec l’origine du monde…

Lauréat du Teddy Award en 2009 à la Berlinale, Rabioso Sol, Rabioso Cielo (dont le titre international est Raging sun, Raging sky) est probablement l’un des films à thématique gay les plus ambitieux de ces dernières années. Comme c’était déjà le cas dans le précédent long-métrage du réalisateur mexicain Julian Hernandez, El cielo dividido, nous sommes face à une œuvre étrange, entre modernité et mythologie. Une expérience de cinéma de 3h, en noir et blanc, souvent muette, jouant de l’atmosphère, du sensoriel. Le décor est posé : vraie proposition de cinéma, exigeante, demandant au spectateur de la patience, un véritable abandon (3h c’est long, surtout que le film est sorti en France directement en dvd – une sortie en salles aurait permis de le découvrir dans des conditions idéales mais il faudra se satisfaire du peu qui nous est offert). Le début est terriblement intrigant, jouant déjà du fantastique. Une femme mystérieuse et pulpeuse se perd au milieu du reste de la population avant qu’un jeune homme à l’air innocent ne croise sa route. Après un ébat étourdissant de sensualité, elle lui promet l’amour, un compagnon vigoureux. Mais pour le trouver et le garder, il faudra qu’il garde les yeux grands ouverts, qu’il soit attentif à tout ce qui l’entoure. Suite à cette introduction qui éblouit déjà par la force de sa mise en scène, un noir et blanc sublime et des corps filmés avec une grâce peu commune, débute la quête de trois personnages. Ryo cherche celui qui sera l’élu de son cœur. Son itinéraire se mêle à celui de Tari, amant parfois violent qui peine à canaliser ses pulsions et sa solitude qui lui pèse, et aux aventures sexuelles de Kieri, celui qui lui est destiné mais ne le sait pas encore.

rabioso sol rabioso cielo

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Le spectateur comprend rapidement ce qui va se passer : Ryo et Kieri finiront inévitablement par se rencontrer et l’obstacle à leur amour sera à la fois la difficulté de Kieri à se détacher de la luxure et le personnage de Tari, jeune homme privé d’amour et spectateur malgré lui d’une romance qu’il jalouse jusqu’à céder à la colère. Il faudra attendre la moitié du métrage, soit une heure trente, pour que Ryo et Kieri se voient enfin réunis, au hasard d’une déambulation dans les recoins en ruine d’un cinéma porno. Le long chemin qui précède leur union s’apparente à un vaste labyrinthe où les (beaux) garçons se perdent, se cherchent, s’emboîtent. Visuellement, cette première partie est absolument hallucinante. Multitude de mouvements de caméra qui nous donnent l’impression de flôter comme un fantôme au dessus du monde, de contempler la beauté de l’invisible, du plaisir étourdissant des corps qui l’espace d’un instant ne font plus qu’un. Rabioso sol, Rabioso cielo est d’un érotisme vertigineux. Julian Hernandez filme comme personne les visages et les corps de ses jeunes acteurs, dont chaque partie est sublimée. C’est peu dire qu’on a envie de lécher l’écran. On a aussi envie de trembler face à la beauté de ces garçons, presque trop beaux pour être vrais, face à la puissance cinématographique des images qui donnent l’impression de revenir à l’essence du septième art. C’est du cinéma hyper sensoriel, physique, hypnotique. Julian Hernandez ne semble se poser aucune limite, témoigne d’une audace impressionnante et offre un spectacle qui emprunte autant à l’opéra qu’à la danse, à la mythologie, au théâtre, à la philosophie… Des jeunes mecs en quête de plaisir et d’amour, d’une moitié pour soulager leurs pulsions ou pour simplement se sentir pour la première fois reliés au monde. Sens aiguisés, beauté éclatante : nous déambulons nous aussi dans ce labyrinthe hautement métaphorique qui nous conduit plus d’une fois jusqu’au nirvana.

Une fois que la romance entre Ryo et Kieri se matérialise, l’oeuvre déploie son deuxième grand acte. Le coup de foudre, la plénitude, laissent place aux doutes. Kieri n’est pas certain que Ryo est celui qui pourra l’arracher à sa vie faite de plaisirs instantanés et de fausses amourettes ; Tari, plus désespéré que jamais (il s’est fait violer par un ex amant qu’il avait préalablement lui-même maltraité), menace telle une figure diabolique… Les trois personnages se retrouvent propulsés dans un univers surréaliste, en couleur, où l’amour de Ryo et Kieri est remis en jeu. Impression de revenir à l’origine du monde, dans un décor dépouillé, désertique, rappelant bien des récits bibliques. Cette seconde partie, une fois de plus très esthétique, dotée de plans qui laissent sans voix, est un peu plus maladroite. Les symboles s’alourdissent, la voix off se révèle trop surfaite et quelques effets un peu kitsch viennent entraver à la magie de l’ensemble. N’ayant peur de rien, convoquant les 4 éléments dans une débauche esthétique totale, Julian Hernandez prend parfois le risque de se planter, de mettre un peu trop en danger ses acteurs aussi beaux et charnels qu’habités. Mais même lorsque l’un d’eux se prend les pieds dans le tapis, glisse subitement, le plan d’après le réhabilite avec une telle maestria qu’on ne peut que tout pardonner. Il émane de Rabioso sol, Rabioso cielo une telle créativité, une telle foi dans le cinéma, qu’on en ressort de toute façon profondément marqué. Comme si le désir et l’amour étaient filmés pour la première fois. Renversant.

Film produit en 2009

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3