FICTIONS LGBT
RAW ! UNCUT ! VIDEO ! de Ryan White et Alex Clausen : mémoire fetish
Avec RAW ! UNCUT ! VIDEO ! le duo de réalisateurs Ryan White et Alex Clausen nous proposent de (re)découvrir le label gay fetish Palm Drive Video aux côtés de ses fondateurs. A travers le récit de ce label, nous découvrons aussi le lien profond de ces deux hommes et toute une histoire à la fois underground et universelle de la communauté gay entre les années 1970 et la fin des années 1990.
Le film s’ouvre sur un programme télévisé questionnant et critiquant la pornographie. Puis nous découvrons Jack Fritscher et Mark Hemry, en couple depuis presque 40 ans. Une relation très solide, toujours pleine d’amour et de complicité. Ensemble, ils ont un peu tout fait et partageaient une forte fascination pour le fétichisme gay et le BDSM.
Jack Fritscher a dès sa jeunesse participé à fonder une véritable communauté autour du cuir / leather, notamment en étant la tête du fanzine gay culte DRUMMER. À un moment, l’envie est venue de faire plus qu’un magazine et des photographies et c’est ainsi qu’à germer l’idée de Palm Drive Video que Jack a lancé avec son comparse et compagnon Mark Hemry. Les compagnons avaient toutes les casquettes : production, castings, réalisation, montage, marketing, vente à distance… Le label a eu la spécificité de se lancer alors que simultanément la tragédie du Sida déferlait et que le business de la VHS était en plein Boom.
Alors que beaucoup d’homosexuels entretenaient un rapport complexe à la sexualité, entourée de peur et de parano, que l’atmosphère n’était plus à l’hédonisme, Palm Drive Video a eu l’idée de réinventer en quelque sorte la sexualité gay à travers le BDSM. A la fois à travers des solos ne nécessitant aucun rapport si ce n’est avec soi-même et donnant tout un tas d’idées pour s’éclater sans partenaire. Et aussi à travers des duos faisant la part belle aux accessoires. Si quelqu’un fantasme, est attiré par quelque chose, il y a forcément quelqu’un d’autre pour qui c’est pareil peut-on entendre.
Le moins qu’on puisse dire c’est que Palm Drive Video, tout en prônant le safe sex, n’avait pas peur d’explorer. On découvre ainsi à travers les nombreuses archives de films présentées à l’écran tout un tas de fétichismes et autant de mâles qui se lâchent. Un petit avertissement s’impose : la sexualité qu’a pu mettre en scène Palm Drive Video, toujours consentie, est à des années lumières des rapports « vanille ». Les garçons qui venaient tourner étaient très très cochons et les âmes sensibles devront s’accrocher à la vision de ce documentaire qui explore une infinité de trips jouant souvent avec nos limites. Le visionnage n’est pas des plus confortables mais comme il est rappelé plusieurs fois : l’idée était de ne porter aucun jugement, d’explorer, de laisser les mâles aller aux bouts de leurs envies les plus inassouvies. Et si certains échanges se révèlent assez extrêmes comme peuvent l’être certaines pratiques BDSM, tout est toujours cadré et après l’intensité succède la tendresse, la camaraderie.
Jack Fritscher et Mark Hemry nous partagent pendant un peu moins de 1h20 tout l’histoire de leur label, des « grandes années » riches en rencontres inoubliables et lors desquelles Palm Drive Video étaient comme une oasis pour faire une pause et s’extirper de l’enfer des années Sida. A l’écran se succèdent plusieurs modèles phares du studio qui gardent un souvenir ému des tournages qui leur ont permis de se libérer dans leur sexualité, s’affirmer davantage. Avec une certaine honnêteté, les créateurs de Palm Drive Video évoquent aussi les années 1990 et l’invasion des substances illicites dans la vie des hommes gays, venant parfois troubler leurs tournages. A l’euphorie des débuts, la passion, l’exutoire, a succédé peu à peu un business et des mécanismes. L’arrivée du dvd et d’internet provoquera à terme la fin de cette aventure.
En moins de 80 minutes, RAW ! UNCUT ! VIDEO ! se révèle extrêmement riche par la multiplicité des thématiques qu’il aborde. C’est toute une histoire de la communauté gay qui se raconte en même temps que les aventures sulfureuses et secrètes des mâles. Il y a l’histoire de Jack Fritscher et Mark Hemry mais aussi toutes celles de ces modèles, plus ou moins connus et/ou iconiques. Palm Drive Video explorait autant la diversité des fétichismes que la diversité des corps, même si l’accent était mis sur une sur-masculinité. La corpulence ou l’âge n’étaient pas des critères et des mecs très différents se dévoilent pendant le long-métrage. Enfin, Palm Drive Video n’était comme tient à le rappeler ses créateurs pas qu’un label coquin ou explicitement sexuel : le studio home made a également filmé et archivé de nombreux événements sportifs en en captant leur homo-érotisme, les coulisses d’une communauté gay en plein combat et désireuse de croire en des lendemains plus heureux.
Aux secousses provoquées par les images des films qui peuvent être chargées en perversité s’opposent la nostalgie des débuts, le regard sur le temps qui passe. Un film que vous n’oublierez pas et qui nous rappelle que la pornographie quoi qu’on en dise fait aussi partie intégrante de l’Histoire Gay et que la sexualité est une histoire à elle seule tout simplement.
Film produit en 2021 et disponible sur la plateforme Pinklabeltv