CINEMA
ROUBAIX, UNE LUMIÈRE d’Arnaud Desplechin : misère
Arnaud Desplechin retourne dans sa ville natale de Roubaix et se frotte à plusieurs genres (polar et film social notamment) avec Roubaix, une lumière qui s’appuie sur un carré d’acteurs absolument magnétiques.
On entre dans le film au coeur de la nuit, le temps d’un soir de Noël peu reluisant. Daoud (Roschdy Zem), commissaire, navigue entre le poste de Police et la ville. De nombreuses affaires s’ouvrent, plus ou moins graves ou sordides mais témoignant toutes de la misère sociale qui fait rage dans la ville. Roubaix est posée en ville sinistre, déchue, abandonnée, à laquelle Daoud reste malgré tout profondément attaché. Toute sa famille est « repartie au bled » mais lui est resté là car Roubaix ce sont ses racines, c’est là où il a grandi et il ne veut pas délaisser cette terre et les gens qui y sont.
Louis (Antoine Reinartz) fait, lui, ses débuts au poste de Police et tente d’apprivoiser ce territoire. Il est fraîchement diplômé et très croyant. Rapidement, comme la plupart de ses collègues, il perd son sang froid alors que ses premières affaires n’avancent pas, que les gens et voyous présumés le mènent en bateau. Il est notamment sur une affaire d’incendie criminel. Deux voisines de la maison brûlée, Claude (Léa Seydoux) et Marie (Sara Forestier), l’aident à trouver les responsables mais rien n’y fait. Quelques jours plus tard, les deux femmes se retrouvent mêlées à une effraction et deviennent potentiellement responsables d’un meurtre. Elles sont arrêtées et Daoud et Louis vont s’entretenir avec elles pour comprendre ce qui s’est passé.
La première grande réussite du film c’est qu’il tient très bien en haleine sans abuser des codes habituels du polar. On pense forcément à Pialat mais Desplechin apporte sa propre signature au genre du polar tout en s’essayant à un cinéma qui se frotte au réel. On est en pleine immersion dans un poste de police et on découvre le quotidien difficile des policiers, à quel point leurs nerfs peuvent être mis à rude épreuve. On les voit aussi perdre leur calme et parler mal, avec une certaine violence un peu choquante, à certaines personnes potentiellement coupables. Le portrait est donc nuancé et à travers le personnage de Louis (excellent Antoine Reinartz) on comprend cette lumière qui est dans le titre. L’oeuvre a en effet quelque chose d’étrangement mystique et on peut facilement voir Daoud et Louis comme des hommes de Dieu. Un bon flic agirait comme un bon religieux : essayant de faire régner l’ordre avec justesse, ne jugeant pas, écoutant, percevant la lumière en chacun même quand la personne en face de soi a témoigné d’une évidente monstruosité.
Cet aspect mystique est très beau via les passages avec Antoine Reinartz, en pleine introspection, portés par une voix off réussie. C’est moins convaincant quand c’est Roschdy Zem qui s’y colle. Non pas en raison de l’acteur qui est ici franchement au sommet (et qui pourrait bien décrocher un César du meilleur acteur) mais plutôt à cause de l’écriture de deux scènes assez gênantes où le personnage de Daoud se pose un peu trop en mode gourou « Ouais toi je te connais, tu as grandi comme ça, tu es comme ça… ». C’est un peu lourd et assez réducteur. Mais c’est que Desplechin tient à faire de son personnage principal un modèle de douceur et de compassion, un Saint en quelque sorte qui cherche absolument à faire le bien, à apaiser même les âmes les plus sombres et violentes. Et vu que c’est un cinéaste intelligent et très doué, on se laisse prendre au bout du compte en se disant que oui notre monde ne serait pas si mal si au final on était tous irrités en s’énervant et qu’on cherchait plutôt l’apaisement même dans le chaos le plus total.
Roubaix est à la fois ici filmée comme une ville déchirée mais elle devient aussi et surtout un véritable territoire de cinéma qui fascine clairement le cinéaste. Le métrage s’envole dans sa deuxième partie alors que l’intrigue se resserre sur les personnages de Claude et Marie, portés par Léa Seydoux et Sara Forestier qui donnent tout ce qu’elles ont (elle a ses détracteurs mais franchement encore une fois Léa Seydoux est vraiment remarquable, d’une justesse et d’une intensité rares). On se prend le désespoir de ces jeunes femmes et leur misère en pleine poire et jusqu’à une scène de reconstitution qui marque les esprits on a le souffle coupé. C’est à travers elles qu’on perçoit aussi et surtout cette fameuse lumière au coeur des ténèbres. Cette humanité cachée derrière les actes les plus terribles.
L’oeuvre n’est pas parfaite (comme d’hab les journalistes en font un peu trop des caisses – non ça ne réinvente pas le polar et ça n’est pas un chef d’oeuvre : on se calme) mais elle réussit de beaux tours de force côté mise en scène et les interprétations ont de quoi hanter pour longtemps.
Film sorti le 21 août 2019