FICTIONS LGBT

SAN FRANCISCO 1985 de Chris Mason Johnson : en quête d’équilibre

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San Francisco, 1985. Frankie (Scott Marlowe) peine à s’affirmer au sein de la compagnie de danse qu’il vient d’intégrer. Il manque d’assurance, son professeur lui reproche de danser de façon trop féminine… Si la danse est définitivement sa passion, le jeune homme est parasité par différentes angoisses. Il peine à trouver un garçon avec qui vivre une histoire et est surtout tétanisé par le virus du Sida qui fait les gros titres des journaux. Alors qu’un test permettant de savoir si l’on est séropositif ou non vient de faire son apparition, Frankie hésite à s’y soumettre. La peur de découvrir qu’il est malade, que sa vie insouciante pourrait subitement basculer. Un jour ensoleillé, il décide de se confronter à la réalité…

san francisco 1985 film

Le thème du Sida est assez récurrent et a déjà été magnifiquement traité aussi bien au cinéma que dans des fictions tv de prestige.  Réalisateur du sympathique Nuits blanches à New York  (The new twenty), Chris Mason Johnson semble d’abord se plier aux « codes du genre ». Une agréable bande-originale reprenant pleins de tubes de l’époque, une reconstitution subtile (le personnage principal se réjouit notamment de découvrir les joies du Walkman)… Pourtant, par petites touches, San Francisco 1985 (Test en VO) sort définitivement du lot et impose joliment sa personnalité. Le film évite en effet bien des passages obligés. Il ne se focalise par sur l’épidémie en elle-même, il préfère plutôt être sur l’angoisse qu’elle provoque. L’intrigue prend place à un moment où le virus est déjà identifié et où surgit le premier test de dépistage. La parano sévit encore : une danseuse a peur d’être contaminée par un partenaire gay lorsqu’elle reçoit quelques gouttes de sueur, certaines personnes ne vont plus déjeuner dans les restaurants de Castro craignant que cela puisse se transmettre par la nourriture (!), dans les rues surgissent des tags homophobes et sentencieux, les journaux se demandent s’il faut mettre les gays en quarantaine… Le test de dépistage fait jaser : certains gays ont peur qu’en s’y soumettant ils soient placés sur une liste et marginalisés.

Si l’angoisse est omniprésente, elle reste toutefois cachée, en arrière-plan. Le film nous plonge dans un San Francisco solaire, estival, où chacun continue de mener sa vie, dans une relative insouciance. La fête continue, on s’autorise des coups d’une nuit, on découvre le préservatif, cet objet bizarre qu’il est désormais recommandé d’utiliser. Un peu lunaire et maladroit, introverti, Frankie se cherche au beau milieu de cette étrange époque. Les relations avec les garçons sont compliquées, chaque jour apparaît comme un nouveau challenge à tous les niveaux. Dans l’intimité, le secret, les garçons se scrutent dans la glace, cherchant à voir s’ils ont des tâches suspectes annonciatrices d’une bien mauvaise nouvelle…

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Il émane de San Francisco 1985 quelque chose de très doux et lumineux malgré son imposant sujet. La mise en scène de Chris Mason Johnson, portée par une très belle photographie, est du meilleur goût et renforce un caractère intimiste des plus séduisants. L’écriture est délicate, le scénario à la fois modeste et précis, transcendant une tranche de vie en la plaçant dans un contexte singulier. On sent un vrai regard de cinéaste, un point de vue tout personnel. Et le personnage principal, beau danseur passant du statut de petit garçon apeuré à celui de jeune homme parvenant à ne plus perdre l’équilibre, est particulièrement attachant.

L’ensemble est entrecoupé de passages de danse pouvant paraître un poil kitsch au départ mais finissant par s’approcher d’une certaine grâce. Le film est aussi bien une quête identitaire, d’affirmation, qu’une œuvre sur le corps. Un corps source de plaisir, de pulsions, un corps que les danseurs soumettent à une discipline stricte, un corps qui peut se révéler être un support d’art et d’expression, un corps qui pourrait aussi subitement lâcher s’il se révélait infecté… Tout en ne manquant ni de fond ni de profondeur, ce long-métrage indépendant américain fait, jusqu’à son dernier plan, un bien fou. On s’attendait à un drame chargé, on se retrouve face à un attachant et hybride portrait intimiste aux petits airs de feel good movie. Une belle réussite.

Film sorti en 2015. Disponible en DVD et sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3