FICTIONS LGBT
SAUVAGE de Camille Vidal-Naquet : rester libre
Premier long-métrage en forme de coup de poing pour le réalisateur Camille Vidal-Naquet avec SAUVAGE. Le film, encensé par la critique au Festival de Cannes où il était présenté à La Semaine de la Critique, impose en révélation le jeune Félix Maritaud qui explose dans chaque scène avec un mélange sidérant d’animalité et de tendresse, tour à tour dur et tendre, d’une justesse sidérante.
Le film montre avec un style assez naturaliste, brut, frontal, le quotidien d’un prostitué de rue âgé d’une petite vingtaine d’années. Léo (Félix Maritaud) traîne au Bois de Boulogne, entouré d’autres garçons qui espèrent attirer l’attention des clients dans leurs voitures. Pas de compétition entre eux, au contraire une solidarité, de la fraternité, sauf quand certains nouveaux arrivent pour tenter de « casser les prix »…
C’est un long-métrage en forme de portrait mais pas que. S’il montre la dure réalité de la prostitution, « Sauvage » est aussi et surtout le récit d’un amour contrarié. Léo se garde bien de le crier sur les toits mais il est amoureux de Ahd (Eric Bernard, excellent second rôle), un autre prostitué qui prétend ne faire ça que pour l’argent. Entre eux de l’affection, un amour parfois palpable. Mais Ahd n’assume pas vraiment et vit avant tout pour s’en sortir, accéder à une vie confortable. Il ne reculera devant rien.
Contrairement aux clichés habituels, Camille Vidal-Naquet dresse un portrait tout en nuances de son personnage principal. Ce dernier guide le film qui oscille entre des émotions et des tonalités changeantes, parfois presque contradictoires. Léo donne son corps contre de l’argent, il subit parfois (infernale « scène du plug ») mais il y trouve aussi une forme de plaisir et de liberté. La misère est là, la crasse aussi mais il émane aussi des passes parfois de la tendresse, de la complicité, du plaisir.
Si elle est logiquement associée à une certaine précarité, la prostitution est aussi étrangement une forme de liberté. C’est toute la beauté et la poésie de la sauvagerie dont parle cette oeuvre. Et c’est le tour de force de l’ensemble : apporter au sein d’un cadre sombre des éclats de lumière, de tendresse, de vie, de beauté, de sensualité.
C’est l’un de ces films où l’on a envie, tout le long, de prendre le personnage principal dans ses bras (comme lors de cette scène très émouvante avec la femme médecin). Car Léo est un garçon instantanément attachant, « fait pour être aimé », qui a besoin de tendresse même s’il se réserve bien le droit de la refuser. C’est un garçon destroy en quête d’absolu qui semble jouer sa vie à chaque instant en marchant dans les rues. On a constamment peur pour lui. Peur qu’il se fasse agresser, qu’on lui brise le coeur, que la maladie le frappe. Il trébuche, il tombe, il saigne mais il se relève toujours, avec cette même soif de vivre, d’aimer et de rester fidèle à lui-même.
La deuxième partie du métrage propulse un autre personnage secondaire en forme de porte de sortie. Pour quitter la rue, certains ne voient comme seule issue que l’hypothèse de « sortir avec vieux ». Être entretenu, se laisser habiller, jouer au compagnon pour bénéficier d’une stabilité financière, d’un confort. Mais ce confort bourgeois n’est-il pas pire que de faire le tapin ? Ne s’y perd-on pas encore plus ?
Hyper sensible, physique et magnétique, ce premier long-métrage oppose à une forme qui se cherche joliment (au naturalisme se mêlent quelques effets stroboscopiques enivrants lors de scènes en boîte de nuit) le charme infini de Félix Maritaud, absolument sublime, bouleversant en sale gosse au coeur à vif qui ne laissera rien n’y personne lui prendre sa liberté.
Film sorti en salles le 29 août 2018