FICTIONS LGBT

SHANK de Simon Pearce : un gay dans le gang

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Dans une Angleterre aux allures de jungle, Cal (Wayne Virgo) mène une existence pour le moins dissolue. N’ayant plus aucun lien avec sa famille, il vit seul dans un appartement qu’il parvient à louer en dealant. Ses journées sont ainsi faites de deals et de glandage avec sa bande d’amis, tous en rupture avec la société, sujets à des excès de violence. Tel un véritable gang, ils se plaisent ainsi à attraper sans raison des passants dans la rue pour les tabasser jusqu’au sang, filmant leurs « exploits » avec leur téléphone portable pour les diffuser plus tard sur Youtube. Si jusqu’ici Cal s’était accoutumé de ce quotidien violent, ayant de l’affection, de l’empathie pour la chef de bande Nessa (Alice Payne) à l’agressivité pourtant effrayante, doucement, le jeune homme prend ses distances.

Il fantasme en secret sur son meilleur ami, qui est aussi le petit ami de Nessa : l’ambigu Jonno (Tom Bott). Ne pouvant assumer ses pulsions sexuelles au sein d’un gang et d’une banlieue hostile, Cal fait des rencontres clandestines via Internet. Des plans débridés lors desquels il tient à être filmé pendant qu’il se fait sodomiser. Alors qu’il s’offre un plan torride avec un professeur plus âgé, Scott (Garry Summers), les choses tournent mal quand ce dernier tente de créer un lien. Cal le tabasse et lui amoche le visage. Plus tard, alors qu’il traîne avec son gang, Nessa et Jonno prennent pour cible un jeune étudiant gay, Olivier (Marc Laurent). Cal vient à la rescousse du jeune homme, ce qui n’est pas du goût de ses acolytes, qui le rejettent et commencent à le menacer. Apeuré, Cal trouvera finalement refuge chez Olivier avec lequel il entamera sa première relation sentimentale. Une relation à la fois libératrice et dangereuse. Quand Nessa et Jonno vont découvrir que leur ancien ami est « une pédale », leur rage n’aura alors plus de limite…

shank film gay

L’homosexualité en banlieue reste un sujet sensible. Shank opte pour un portrait brut, réaliste, et commence très fort. On suit Cal, petite frappe, jogging et chaine de rigueur, achever son après-midi de petits trafics par un plan cul à la frontière de l’explicite. Le jeune homme, appartenant à un gang mais dans le fond livré à lui-même, vit son homosexualité comme une affaire de pulsions dévorantes. Ses baises organisées via internet sont aussi brèves que musclées et le fait qu’il les filme lui permet de se masturber compulsivement devant son ordinateur par la suite. Le réalisateur Simon Pearce livre une réflexion intéressante sur les pulsions et les images. Le sexe comme les agressions apparaissent comme un exutoire, une façon de fuir une réalité difficile, des problèmes identitaires de plus en plus dévorants. Pour Cal, comme pour Nessa, filmer l’acte sexuel ou de violence, leurs actes qu’ils considèrent comme les plus sombres, relève à la fois de l’excitation malsaine que du témoignage de leur détresse  qui s’exprime par une certaine forme de sauvagerie.

Les scènes entre le trio principal formant le gang, Cal / Nessa / Jonno, sont particulièrement réussies, portées par des acteurs au naturel confondant. Désespoir, violence intense, tension, peur : le quotidien de ces jeunes est aussi asphyxiant qu’affligeant. On voit mal comment Cal pourra s’épanouir au milieu de cet enfer, s’assumer en tant que gay, alors qu’il se dégoûte lui-même. Sa relation ambiguë avec son ami Jonno, qui n’apparaît pas très épanoui avec Nessa et qui multiplie les regards et gestes tendancieux pourrait être une porte de sortie. Mais cette porte se referme quand Cal entre pour la première fois en conflits avec les siens, refusant de participer au lynchage barbare d’un jeune gay efféminé.

shank film gay

A partir du moment où Cal est rejeté par sa bande, devenant à son tour une potentielle victime, Shank emprunte un virage assez déroutant. Cal, jusque là passif légèrement soumis, ayant essentiellement des rapports avec des hommes plus âgés et virils, entame une relation avec le jeune gay efféminé Olivier. La relation détonne à l’écran, c’est peu de le dire. Cal devient un actif sensuel et prévenant et les scènes guimauve s’enchaînent. C’est la faiblesse du film, qui passe d’un côté réaliste, presque documentaire, intense, à une bluette inattendue, presque improbable, pour le coup nettement plus convenue dans son développement. Le jeu maladroit de l’acteur Marc Laurent n’aide pas.

On voit pourtant bien où le film veut en venir : aller à l’encontre des clichés, faire la passerelle entre une homosexualité refoulée, violente, et une homosexualité assumée, douce. Si malgré nos efforts on peine à croire complètement à une histoire d’amour un peu simpliste, le côté banlieue/thriller ne tarde heureusement pas à refaire surface. Les vrais visage de Jonno et Nessa se dévoilent, l’intrigue se révèle plus alambiquée que prévue, montrant toute la complexité de la violence, la dualité de chaque personnage et plus globalement de chaque être humain.

S’il est inégal, Shank a le mérite d’aborder de façon très libre et personnelle le sujet brûlant des gays en banlieue et de l’enfer de la délinquance. Une petite claque dans son genre.

Film produit en 2009 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3