FICTIONS LGBT
SHORTBUS de John Cameron Mitchell : lâcher-prise
New York. James (Paul Dawson) et Jamie (PJ DeBoy), dits les « Jamies », forment un couple gay en apparence solide depuis plusieurs années. Mais depuis quelques temps James ne parvient plus à cacher la dépression qui le submerge. Il poursuit un énigmatique projet vidéo où il filme des bouts de son intimité. Conscients que leur relation est sur le déclin, les garçons se rendent chez une conseillère matrimoniale, Sofia (Sook-Yin Lee). Si la séance dégénère, Sofia perdant son sang froid, elle donne aboutit pourtant à quelque chose. A bout de nerfs, la thérapeute avoue à ses clients qu’elle n’a jamais eu d’orgasme. En couple depuis toujours avec son compagnon Rob (Raphael Barker), elle a toujours simulé. James et Jamie l’invitent à découvrir un club underground où ils se rendent régulièrement : le Shortbus.
En pénétrant au Shortbus, Sofia découvre une sorte de monde caché où se mêlent artistes et marginaux de tous horizons dans une atmosphère extrêmement libre. Ici, tout le monde parle de sa sexualité librement entre deux rencontres ou orgies pouvant se déployer d’une pièce à l’autre. Fascinée par l’hédonisme de l’endroit, Sofia aimerait pouvoir se lâcher comme les gens autour d’elle. Elle se lie d’amitié avec Severin (Lindsay Beamish), une jeune artiste paumée qui gagne sa vie en tant que dominatrice et qui n’a jamais réussi à vivre la moindre relation amoureuse.
L’espace de quelques semaines, chaque personnage va évoluer, se pousser dans ses retranchements, flirter avec le chaos pour peut-être à terme trouver une forme de lumière libératrice.
Sorti en 2006 au cinéma, Shortbus a instantanément acquis le statut de film culte. Peu de longs-métrages peuvent se targuer d’avoir réussi à parler aussi bien et aussi librement du couple et de la sexualité que celui-ci. Au départ, on retrouve un petit côté underground qui peut faire penser au cinéma de Paul Morrissey (la trilogie avec Joe Dallesandro) mais John Cameron Mitchell, qui signe ici probablement le chef d’oeuvre de sa filmographie, va plus loin. Il est évidemment intéressé par les marginaux, les gens qui s’éloignent de ce que l’on désigne comme la norme pour aller explorer qui ils sont vraiment sans se soucier des codes et de la morale. Il aime la provocation (les scènes avec la dominatrice, un trio où l’on chante l’hymne américain dans une paire de fesses), il embrasse l’explicite (la sexualité est montrée de façon explicite, sans détour et pudeur – et bordel ça fait du bien !), parfois le trash. Mais surtout Shortbus est une oeuvre infiniment sensible et attachante.
Impossible de ne pas s’attacher à la troupe de comédiens qui ont participé par ailleurs à l’écriture du scénario. Ils sont criants de vulnérabilité, se donnent sans limite à la caméra et cela donne lieu à des moments de vérité comme on en voit peu au cinéma.
Ce que montre le film n’est pas forcément confortable : il nous rappelle à quel point il est difficile de trouver sa place dans la vie aussi bien en tant qu’individu (les personnages sont tous rongés par un certain mal de vivre) qu’en tant que couple (où l’on fait souvent mine que tout va parfaitement alors qu’il y a toujours des problèmes dans le placard).
On vient tous de quelque part, on a tous des choses à pardonner ou à se faire pardonner, des cicatrices liées à un moment de notre existence. Cela prend du temps pour s’en défaire et Shortbus filme cela à la fois de façon frontale et plus douce qu’il n’en a l’air. C’est un film de déconstruction : il déconstruit le cliché de la femme dominatrice, déconstruit la posture d’une conseillère matrimoniale / sexologue, d’un couple fusionnel et le métrage se déconstruit lui-même, arrachant son étiquette arty pour s’envoler vers quelque chose de complètement universel.
Ce qui nous empoisonne tous, ce sont ces barrières en nous, ces choses que l’on se pense incapable de faire ou de s’autoriser. Après bien des péripéties, chacun va apprendre à lâcher prise et à se laisser une chance de respirer, aimer, s’aimer, jouir.
Si on tombe amoureux d’absolument tous les protagonistes même les plus furtifs (comme cet ancien maire de New York ou le tenancier flamboyant du Shortbus), on retiendra ici l’histoire d’amour gay qui est au coeur du métrage. Le segment entre James et Jamie offre une multitude de scènes aussi belles, sexy que bouleversantes. L’amour inconditionnel de Jamie, le vertige de vivre de James, le sublime Ceth (Jay Brannan) qui s’invite entre eux pour un possible ménage à trois ou le mignon et bizarroïde Caleb (Peter Stickles) qui prend les allures d’un stalker : on vibre constamment et on a les yeux mouillés plus d’une fois devant son écran.
Si l’écriture est extrêmement juste, la mise en scène est elle pleine de souffle, nous plongeant en immersion totale dans l’univers du Shortbus. On a envie d’y être et d’y rester à jamais. Un safe place où tout le monde est libre, sans jugement. Une utopie. Enfin, il faut dire à quel point le final est d’une folle beauté et intensité. Au point qu’ici on ose dire que c’est une des plus belles fins de film qu’on ait pu voir au cinéma. Bref, une merveille.
Film sorti en 2006 et disponible sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen