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Skins « Fire » (saison 7, 2013) : Effy dans le monde des grands
Après 6 saisons et 3 générations d’adolescents, Skins s’achève avec un septième chapitre, en trois parties (deux épisodes chacune) et trois personnages emblématiques. La série est sans aucun doute celle qui ,à l’heure de l’écriture de ces lignes, est parvenue le mieux à retranscrire l’urgence de l’adolescence, avec de vraies qualités d’écritures, des interprétations solides et surtout une mise en scène pop qui n’a rien à envier aux meilleures œuvres de cinéma traitant du même sujet.
La première partie de la saison 7, intitulée « Fire », s’attarde sur le personnage d’Effy. Hier ado rebelle, adepte de multiples drogues, à la personnalité on ne peut plus tourmentée, on la retrouve désormais âgée d’une vingtaine d’années, à Londres, faisant son entrée dans le monde du travail. Effy est en colocation avec son amie lesbienne Naomi (personnage des saisons 4 et 5), toujours en couple avec son amour datant de l’adolescence, Emily. Naomi n’a pas vraiment changé son rythme de vie, passant son temps à organiser des soirées dans son appartement, à boire et fuir le monde adulte. Elle envisage toutefois de se reprendre en main en essayant de se lancer dans un one woman show. Effy est, elle, à l’opposé. Elle évolue dans le monde de la bourse, est une assistante très professionnelle et dévouée à une supérieure qui ne lui montre que peu de gratitude. La supérieure couche avec le grand patron, Jake (Kayvan Novak), pique les idées de sa petite assistante pour se faire mousser. Effy est impatiente, aimerait que son travail soit reconnu à sa juste valeur, en a marre d’être celle qui se tue à la tâche tout en devant faire des photocopies et servir le café aux « grands ». Lors de ses pauses cigarettes, elle fait brièvement la conversation à Dom (Craig Roberts), jeune homme fou amoureux d’elle et très maladroit, qui possède par son travail des informations confidentielles qui pourraient servir aux personnes mal intentionnées tentées par un délit d’initié. Un jour, alors qu’un client débarque au mauvais moment pour un rendez-vous, suite à une mégarde d’une autre assistante, Effy profite de l’absence de sa supérieure pour tenter de faire ses preuves. Elle a passé des nuits entières à se passionner et à apprendre les ficelles du monde de la bourse, de l’économie, des marchés. Et du haut de sa vingtaine d’années, elle parvient à impressionner le client qui demande à n’avoir affaire qu’à elle. De quoi rendre dingue sa supérieure. Son patron lui fait remarquer qu’elle n’a pas agi de manière professionnelle et qu’elle devrait être licenciée… mais lui offre pourtant une mission en tant que commerciale afin de la tester. On sent chez le big boss un désir grandissant pour sa jeune recrue. La supérieure d’Effy quitte la boîte alors que sa liaison tourne court. Tout semble alors possible. Excitation des premières responsabilités, étourdissement de l’entrée dans la cour des grands. Effy quitte un peu le réel, se laisse dévorer par cette nouvelle vie d’adulte qui commence, où elle peut gagner gros si elle gère intelligemment son portefeuille. Elle se laisse aussi doucement séduire par Jake, beau brun qui ressemble étrangement à une version adulte de Freddie, son ex petit ami mort assassiné des années plus tôt. Même regard de braise, même teint… Désireuse de se prouver qu’elle vaut quelque chose et d’attirer encore un peu plus l’attention de l’homme « successful » qu’elle observe de son bureau, Effy aimerait réaliser « un grand coup ». Elle se sert du naïf Dom pour obtenir des informations illégales et fait gagner plus d’un million à sa boîte. Tout se met alors à tourner autour d’elle. Elle commence à se prendre au sérieux, s’habille comme une femme d’affaires outrageusement sexy, entame une liaison avec Jake, se sert de ses charmes pour séduire les clients. Elle se coupe de plus en plus de Naomi, qui la ramène à une adolescence troublée, qu’elle cherche à l’évidence à fuir, oublier. Mais Naomi tombe malade, victime d’un cancer. Le vertige du monde adulte, d’un univers bling bling, la chance de la débutante un rien arriviste cèdent la place à une violente descente aux enfers.
La trame de ce double-épisode peut paraître simpliste voire assez clichée (la jeune assistante dans le monde impitoyable de la bourse qui se retrouve au cœur d’un délit d’initié, qui couche avec son patron golden boy, qui joue avec un prétendant naïf pour arriver à ses fins…). C’est surtout là l’occasion de constater une fois de plus la force de la saga Skins : la mise en scène propulse chaque scène à un niveau supérieur, transforme une intrigue attendue en trip sensoriel. Skins « Fire » est ainsi une vraie expérience comme le petit écran en offre peu. Effy apparaît plus femme et sexy que jamais, évolue dans un univers grisant, luxueux, ensorcelant, mais semble toute petite, comme une souris incapable de sortir de sa cage. Tout autour d’elle est immense : bâtiments qui montent jusqu’au ciel, imposants, grands appartements, soirées drogue et champagne, des sommes hallucinantes remportées sur un coup bien calculé. Tout est aussi trop beau, trop facile pour être vrai, artificiel : le patron sexy et torride qui lui donne l’illusion d’une passion, qui lui fait croire qu’elle est devenue une femme responsable. Sous sa carapace, sa détermination, Effy est toujours aussi fragile psychologiquement. Il émane d’elle cette envie dévorante d’appartenir enfin au monde, de se réaliser. Mais elle se laisse emporter dans une spirale infernale, accumule les mauvais choix, veut aller trop vite. L’ado terrible dont beaucoup s’étaient amourachés il y a quelques années est toujours là, en témoignent quelques scènes de fuite en discothèque, son regard insondable, son mélange de malice et de peur. On la retrouve sérieuse et impliquée avant de réaliser qu’elle n’est toujours pas prête pour la rédemption, que le monde continue de lui échapper, malgré quelques tentatives de s’y rattacher.
Porté par l’excellente Kaya Scodelario, Skins « Fire » n’est pas exempt de maladresses mais dispose de la sensibilité unique de la série, qui n’a pas son pareil pour faire exploser des personnages dotés d’une forte personnalité. Le scénario attendu (délit d’initié, descente aux enfers, une jeune fille qui doit grandir alors qu’elle est une nouvelle fois confronté à la mort) est transcendé par une réalisation puissante, rendant palpable chaque sensation, chaque émotion. On finit bien par brûler aux côtés d’une héroïne qu’on a une nouvelle fois bien du mal à quitter…