CINEMA

SPRING BREAKERS de Harmony Korine : l’excès et la perte

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Candy (Vanessa Hudgens), Brit (Ashley Benson) et Cotty (Rachel Korine) forment un trio brûlant sur un petit campus américain. Les filles n’ont qu’une idée en tête : profiter à fond de leur Spring Break en allant s’éclater au soleil. Elles comptent entraîner avec elles leur amie Faith (Selena Gomez), plus réservée, plus secrète, et participant notamment à des groupes de prière. Problème : leurs minces économies ne leur permettront pas d’aller bien loin. C’est alors que Candy, Brit et Cotty décident de braquer un fast-food du coin, « comme dans un jeu vidéo », histoire de financer leur périple tant attendu.

Braquage avec de simples cagoules, marteaux ainsi qu’un pistolet à l’eau. La récolte est bonne, Faith se joint au groupe : direction la plage et ses fêtes enflammées. Les vacances sont plus folles, plus furieuses que tout ce qu’elles auraient pu imaginer : hôtel de rêve, alcool à gogo, coke à dispo, parties non stop au bord de l’eau ou dans des appartements remplis de garçons.

Mais lors d’une gigantesque teuf dans une résidence, la police débarque. Les filles risquent de se retrouver sous les barreaux si elles ne paient pas leur caution. Miracle : un inconnu, Alien (James Franco), vient les libérer. Les petites fêtardes lui ont tapé dans l’oeil, il leur propose de venir passer du bon temps en sa compagnie. Faith est méfiante mais se laisse entraîner par ses copines.

Petit à petit, Alien se dévoile : rappeur amateur mais surtout petit mafieux, il deale de la drogue et vend des armes, est de tous les mauvais coups tant qu’ils lui rapportent de l’argent. La fête devient plus glauque, Faith rentre chez elle. Pour les insouciantes Candy, Brit et Cotty, les choses vont finir par déraper…

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Découvert comme scénariste pour Larry Clark (le cultissime Kids et plus tard Ken Park), devenu un réalisateur « indie trash » plein de promesses et adulé par les hipsters (son premier long-métrage Gummo fit beaucoup parler de lui), Harmony Korine a quelque peu peiné à émerger au début des années 2000. 2013 : Spring Breakers vient changer la donne, soutenu par une campagne marketing phénoménale et tirant parfaitement profit de son casting de jeunes icônes adolescentes désireuses de casser leur image trop lisse (Vanessa Hudgens et Selena Gomez, starlettes Disney / Ashley Benson, révélée par la série plaisir coupable Pretty Little Liars / Rachel Korine, jeune épouse du réalisateur). On était en droit de craindre que ce nouveau projet ne donne lieu qu’à un divertissement futile, vain, gratuit. Il n’en est rien. Dès les premières minutes, Spring Breakers nous emporte, nous accroche, nous excite. Retour à la fin de l’adolescence, au début de la vie étudiante, à cet âge où l’on a soif d’indépendance et d’expériences.

Candy, Brit, Cotty et Faith s’ennuient dans une petite ville où il ne se passe pas grand chose. Elles sont des filles un peu futiles qui ne demandent qu’à s’amuser, sortir de leur trou. Ce dont elles rêvent : les plages pleines de gens sexy en maillot, s’oubliant sur de la musique pop ou éléctro, un gobelet bien chargé à la main. Un rêve MTV. Le montage ingénieux alterne dès le départ images de ces manifestations festives, filmées à la fois de façon onirique, jouissive, propre au fantasme, vénéneuse (ralentis qui créent le malaise, vulgarité) et quotidien monotone des quatre copines qui espèrent un ailleurs.

Harmony Korine nous entraîne en plein trip, sensoriel en diable, laissant beaucoup de place à la voix off, jouant avec le son (les bruits menaçants des pistolets prêts à dégainer), assemblant les plans de façon à ce qu’ils forment un étrange ballet, aussi pop que décadent. Visuellement, le film est absolument fascinant, hypnotique, saturé de couleurs, parfaitement chorégraphié, détournant l’esthétique des clips qui continuent à faire rêver les moins de 20 ans en masse. Qui n’a jamais rêvé de se retrouver au milieu d’une fête explosive sur la plage ? Le Spring Break représente ici le fantasme d’une vie de festivités, d’insouciance, sans contraintes, sans règles. Juste danser, jouir, sans avoir à se soucier du lendemain, des possibles conséquences.

L’excitation des quatre filles est contagieuse même si contrairement à elles, guidés par le cinéaste, nous apercevons tout de suite les travers, la grossièreté de ce break sulfureux. Les jours passent et se dessine une certaine déchéance. Peu à peu, chaque fille de la bande perd son insouciance. Le premier élément « tragique » est le hold up du fast food (filmé très judicieusement en deux temps). Candy, Brit et Coddy vivent l’acte comme un jeu malgré son extrême violence. Quand elle découvre comment ses copines ont financé leurs vacances, la gentille Faith reste perplexe. Puis un deuxième avertissement surgit : la grande fête qui s’achève à la case prison. Sauvées par le très louche Alien, les quatre amies le suivent. Faith a un mauvais pressentiment, est dérangée par la façon dont les potes de ce petit gangster se mettent à la regarder et la toucher. L’atmosphère est plus pesante, elle décide de partir, tente d’emmener avec elle ses copines, sans succès.

Les 3 « bad girls » sont attirées par la drôle de vie d’Alien (excellent James Franco, qui en fait des tonnes, rendant son personnage à la fois tordant, beauf, répugnant et un poil flippant). Il a, du moins en apparence, réussi à réaliser leur propre rêve : un quotidien sans travail, rythmé par des soirées arrosées et lubriques, de l’argent à foison, un appartement immense… Un mode de vie bling bling sauf que rien n’est gratuit : tout est le résultat de nombreux traffics et autres crimes, et Alien, s’il feint d’être tranquille, mène une existence dangereuse, d’autant plus qu’un de ses anciens amis devenu ennemi commence à l’avoir dans son collimateur. Les pistolets à eau finissent par être remplacés par de vraies armes, les petites frottements lascifs laissent la place à des fantasmes de domination ou à un triolisme vulgos dans une piscine. Jusqu’où ces « adorables bitches » se laisseront-elles dériver avant de prendre conscience qu’il est temps de rentrer, de revenir à la normale ?

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S’il constitue une véritable descente aux enfers, le récit de la perte de l’insouciance, Spring Breakers ne lâche pourtant jamais les couleurs, son esthétique pop, sa musique catchy. C’est ce qui fait toute sa saveur et son originalité. Harmony Korine parvient, avec beaucoup de subtilité et d’intelligence, à déployer un grand mirage. Chaque image, chaque parole, a un double discours, un double sens. Chaque effet finit par aguicher autant qu’il tétanise. Saveur du sucre et de la coke, fêtes dignes d’un clip estival et fin de soirées du niveau d’un obscur porno. Les images mentent, les fantasmes flirtent avec le cauchemar, une fois que l’on se laisse entraîner trop loin, on espère encore s’en sortir, on ment aux autres et à soi-même…

Incroyablement fun et mélancolique, ludique et lubrique, amusant et pervers, Spring Breakers est un véritable tourbillon qui ravit autant qu’il alarme, entre naïveté adolescente, conséquence indirecte du capitalisme, terrorisme iconique. On entend Britney Spears (elle aussi ex icône Disney, ayant connu un beau moment de déchéance), on regarde l’horizon alors que les perspectives se réduisent. Hyper divertissant, captivant et puissant : le film est déjà culte, reflet d’une génération de l’excès.

Film sorti en 2013 et disponible en VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3