CINEMA

TAKE THIS WALTZ de Sarah Polley : la passion e(s)t le vide

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Lors d’un voyage dans un parc historique pour lequel elle va rédiger une brochure, Margot (Michelle Williams) croise le regard de Daniel (Luke Kirby). Ils se retrouvent au retour assis l’un à côté de l’autre dans l’avion. Quelque chose se passe. Ils prennent ensemble un taxi une fois sortis de l’aéroport. Margot confesse être mariée, Daniel révèle qu’il vit en face de chez elle. La reprise du quotidien n’est pas évidente pour la belle. Si elle ne doute pas de l’amour qu’elle porte à son mari, le tendre Lou (Seth Rogen), elle brûle de désir pour Daniel. Elle finit par le retrouver secrètement. Ils apprennent à se connaître, se sentent de plus en plus en phase, au point que Margot tombe amoureuse. S’ils se tournent autour, rien ne se passe pour autant : Margot se sent incapable de trahir son époux. Mais quand Daniel, déçu, s’apprête à partir, son cœur s’emballe en même temps que Lou découvre la vérité sur ce rapprochement qu’il n’avait pas soupçonné…

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Sorti directement en dvd en France, Take this waltz aurait plus que mérité une sortie en salles (le film fut acheté puis abandonné par UGC). Ce drame romantique, de par la finesse de son écriture et son interprétation, n’aura pas de mal à séduire les amateurs du genre. Il y règne tout le long une étrange atmosphère, parvenant à matérialiser le trouble de son héroïne, qui a « peur d’avoir peur », d’un vide qu’elle peine à identifier, indécise, ne sachant plus bien faire la différence entre l’amour et le désir. Les deux ne vont pas de pair avec son mari Lou. Leur mariage est pourtant en apparence idéal : ils ont créé un univers qui n’appartient qu’à eux, ont leur façon décalée de se déclarer leur amour, se font des blagues, s’amusent comme des enfants, débordent de tendresse. Une union plus fondée sur la complicité que la sexualité. Les problèmes arrivent avec le voisin d’en face, Daniel. Lou est un homme enfant, Daniel apparaît comme plus viril, excitant. Ce dernier n’a de cesse de provoquer Margot. Ils développent leur propre complicité suite à des situations gênantes qu’ils tournent à la dérision ou des instants romantiques parfois très chargés en tension sexuelle (en témoigne une scène hot hot durant laquelle le beau brun raconte à celle qu’il espère conquérir ce qu’il lui ferait s’ils venaient à coucher ensemble).

Entre la solidité d’un couple qui surmonte le poids des années sans fléchir et la tentation de la liaison sexuelle et passionnée, Margot peine de plus en plus à savoir ce qu’elle veut vraiment, à fixer des limites. Le spectateur est un peu comme elle, pris en otage, ne pouvant s’empêcher de trouver extrêmement belle et touchante sa relation avec son mari, et comprenant son désir exponentiel pour le sexy voisin d’en face, paraissant à la fois sensible et torride. Peut-on aimer deux personnes en même temps, différemment ? Oui. Mais c’est bien connu, l’amour, le couple, ce n’est qu’à deux. Margot va devoir faire un choix. Un choix qu’elle repousse, laissant Daniel lui tourner autour, provoquant leurs rencontres, sans passer à l’acte pour autant, afin de ne pas se sentir trop coupable.

La mise en scène permet de ressentir physiquement l’état dans lequel se trouve ce personnage involontairement ambivalent. Il fait beau, il fait chaud, nous sommes dans une petite ville calme, mais il y a ce petit étouffement, cette envie de regarder par la fenêtre, de s’évader des fondements solides et rassurants pour prendre un risque. Comme une enfant, Margot aimerait qu’on lui donne la solution sans blesser personne. Elle qui a toujours voulu éviter de se mettre en danger se retrouve dans une position difficile alors que son cœur et son corps lui envoient des informations et des sensations contradictoires. Se profilent toutefois des pistes : une belle-soeur, alcoolique en rémission, qui lance l’air de rien que quitter son mari pour un autre revient à une perte de temps, le désir finissant toujours par retomber ; un passage jouissif dans une attraction de fête foraine qui laisse entendre qu’une fois que la partie est terminée, que le tour de piste grisant laisse place à la réalité, la petite musique s’en va et la triste réalité frappe. Margot pourrait bien, plus ou moins intentionnellement, céder à cette petite musique tentatrice, au fantasme.

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Sarah Polley aime à l’évidence infiniment ses personnages mais ne les ménage pas, montrant leurs failles, leurs petites hypocrisies. Son film n’hésite pas à passer du romantisme au cynisme. On a trop souvent tendance à opposer l’amour raison à l’amour passion. Take this waltz montre que les choses sont plus subtiles, plus compliquées que ça. Margot aime sincèrement Lou, leur routine, leurs jeux. Mais Daniel s’apparente à une promesse de nouveauté, de possible meilleur. A travers le personnage du second rôle de la belle-soeur alcoolique, Sarah Polley pointe du doigt la difficulté de composer avec le temps qui passe, d’un couple où les surprises cèdent la place aux habitudes. Chacun aurait sa propre façon de fuir de temps en temps le réel, de redevenir irresponsable, égoïste, de s’oublier. Mais gare à la gueule de bois…

Sur la chanson Take this waltz de Leonard Cohen qui donne son titre au métrage, la réalisatrice accélère le mouvement et expose clairement son propos : la grande complicité d’un couple, l’amour qui subsiste au delà du désir, est sans aucun doute la plus importante des choses. Car le désir, la passion, finissent toujours par connaître une chute. Libre à chacun d’opter pour un éternel recommencement, pour une succession de mirages finalement plus physiques que romantiques, poussant doucement vers la grande solitude, ou pour le couple, avec sa routine, ses rituels, ses compromis, certes moins sexy et romanesques mais qui, quand la complicité et les sentiments subsistent, rapproche indéniablement plus du bonheur, de l’épanouissement.

Le choix du casting est particulièrement judicieux : Michelle Williams et Seth Rogen forment un couple tellement mignon que les épreuves qui se présentent à eux n’en paraissent que plus cruelles. A la fois doux et inconfortable, ce long-métrage au ton et à l’atmosphère qui détonnent (des couleurs, du soleil et des situations bien moins gentilles qu’elles n’en ont l’air) entête.

Film produit en 2011. Disponible en DVD et VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3