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THE AFFAIR (saison 1 à 4) : le couple et la mort

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Rattraper une série dont la saison 4 vient de s’achever, ça prend du temps. Mais difficile de ne pas vous conseiller, si vous ne la regardez pas déjà, « The Affair ». C’est une fiction toute particulière ,aux personnages extrêmement riches, sur le couple et la famille avec en arrière-plan la perte et la mort. Au drame sentimental se mêle un petit côté thriller mystérieux.

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L’histoire est celle de Noah Solloway (Dominic West), un écrivain dont le premier roman est sorti sans connaître de réel succès. Il s’attelle à l’écriture du second alors qu’il passe l’été dans la grande demeure de ses beaux-parents riches à Montauk,  bourgade attirant les touristes, en compagnie de sa femme Helen (Maura Tierney) et de ses 4 enfants.

S’il refuse de se l’avouer, Noah est en pleine crise de la quarantaine. Son beau-père, qu’il exècre, est un auteur à succès et le renvoie à son propre échec. Il a l’impression de dépendre encore financièrement de sa femme, il est frustré et embourbé dans une routine qui lui donne le syndrome de la page blanche. Sa vie sereine l’ennuie, il a besoin de s’évader.

Tout bascule le jour où il croise le chemin d’Alison (Ruth Wilson), serveuse dans un restaurant. Elle est mariée elle aussi mais a également un besoin presque vital de fuir la réalité. Les choses ne vont pas bien avec son époux Cole (Joshua Jackson) : ils ont perdu leur petit garçon, Gabriel. Une liaison commence entre Noah et Alison qui va non seulement changer leur destin à jamais mais aussi celui de leurs conjoints.

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La première saison pose tranquillement les bases, avec un rythme assez lent, mélancolique et hypnotique. Ce premier chapitre se focalise sur la liaison de Noah et Alison en alternant leurs points de vue respectifs sur les événements. Ce qui séduit, c’est la vulnérabilité des personnages, ce désir palpable d’une passion impossible et potentiellement destructrice. En arrière-plan, une petite trame de thriller avec une enquête suite à un accident. Cet aspect thriller est peut-être ce qui m’a le moins séduit dans le show, et cela vaut pour toutes les saisons. C’est amené de façon un peu artificielle voire lourde alors que tout le reste est au contraire très fin, subtil, riche en nuances.

La série entame un virage avec sa deuxième saison alors qu’elle ne se focalise plus seulement sur Noah et Alison mais aussi sur Helen et Cole qui vont se révéler être des personnages captivants chacun à leur façon. Si l’on a beaucoup vu au cinéma ou à la télévision des récits de passion en mode adultère, elles sont dans la majeure partie des cas montrées du point de vue de ceux qui trompent. Adopter le regard de ceux qui sont trompés et délaissés apporte beaucoup de nuances et de complexité à l’ensemble.

La plus grande qualité de « The Affair » c’est son écriture extrêmement fouillée et l’ambivalence de ses personnages. On est à la fois attaché à chaque protagoniste et en même temps les épisodes ne se privent pas de montrer leurs travers, leurs pires facettes.

Noah Solloway est séduisant et sa quête d’évasion est assez universelle mais force est de constater qu’il agit parfois comme un salaud, qu’il peut être terriblement narcissique et immature. Alison porte un lourd fardeau, peut-être le pire possible dans une existence, et sa sensibilité à fleur de peau émeut même si parfois elle a tendance à se morfondre dans son état dépressif et se révéler pour certains irresponsable. Cole, homme ténébreux et impulsif, a un coeur en or et essaie toujours de faire les choses bien, ce qui ne l’empêche pas de parfois faire du mal aux autres. Enfin, Helen, perçue comme une nantie coupée de la réalité, une femme snob et parfois froide, se révèlera être une grande amoureuse moins solide et pleine de certitudes qu’elle ne le laisse paraître.

Plus on avance dans la série et plus on se passionne pour ce carré de personnages d’une folle densité. Et à l’exception d’une saison 3 qui patine un peu avec de nouveaux personnages secondaires moins intéressants (la trame lourdingue et pénible avec le gardien de prison et l’incursion maladroite d’Irène Jacob), tout protagoniste qui intègre cette fiction se révèle être être un excellent personnage de fiction (à l’instar du magnifique Vik campé par le formidable Omar Metwally ou de Luisa, personnage ingrat mais touchant incarné par Catalina Sandino Moreno).

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« The Affair » laisse définitivement quelque chose à son spectateur. Une infinie mélancolie déjà, c’est certain. L’atmosphère particulière de la petite ville de Montauk, l’image de cet océan à la fois poétique, romantique et menaçant. Cet océan, qui est au coeur du générique de la fiction, représente l’état des personnages. Ils sont en apnée, cherchant continuellement à respirer enfin, s’épanouir et vivre alors que le destin ne cesse de dessiner des épreuves sur leur passage.

A l’issue des 4 saisons, on réalise à quel point les scénaristes sont parvenus à tisser quelque chose d’unique qui parle aussi bien du couple, de la vie de famille, du deuil, de la maladie, de la misogynie, des questions de classe. L’ensemble nous amène à réfléchir profondément sur notre propre existence et rappelle comme l’amour et la vie sont des choses fragiles. Tellement de choses peuvent nous affecter, nous détruire. Avec une multitude de situations et de points de vue, cette série montre comment l’on apprend à rester vivant, à survivre.

La quatrième saison, sans doute la plus douloureuse, dont émerge définitivement la figure tragique du personnage d’Alison et dont l’itinéraire douloureux de celui de Cole ne peut laisser insensible, met nos convictions et nos espoirs à mal. Elle s’achève sur le regard d’Helen, personnage que l’on apprend de plus en plus à aimer d’épisode en épisode, qui contemple la ville, dépassée par tout ce qui se passe mais ne pouvant s’empêcher d’esquisser un sourire. Ce sourire dit un peu tout sur la folie que représente la vie avec ses rebondissements improbables, fous, terribles. Ce sourire transmet cette force de vivre malgré tout, de se dire que ça en vaut la peine.

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Il y a de la vie et de l’espoir dans « The Affair » même si la série est parfois très très sombre et dépressive. Dire qu’elle porte un regard sans fard sur le couple est un euphémisme. Ca appuie vraiment là où ça fait mal. C’est douloureux et en même temps cela fait du bien : regarder tous ces épisodes, c’est comme se regarder dans la glace et accepter son véritable reflet, parfois imparfait et sale. C’est aussi comprendre que la tromperie est plus ambigüe que ce que les moralisateurs peuvent vouloir faire croire.

Le couple, quasiment tout le monde y aspire. Être amoureux, avoir une famille, se dire que l’on est accompli. Mais le bonheur est une étoile filante et ce couple idéalisé se transforme vite en série d’épreuves. Les mensonges, les non dits, les coups bas. La difficulté d’être fidèle. Le courage, qui n’est pas à la portée de tous, d’assumer ses erreurs et de baisser le masque. Aujourd’hui, plus que jamais, beaucoup de personnes ne veulent plus penser qu’à elles seules et fuir dès que quelque chose ne fonctionne plus. On ne veut plus rester dans l’adversité. La série parle de ça et de cette complexité d’aimer et de survivre au temps et à ses propres maux pour composer quelque chose à deux.

Aimer est difficile car c’est le fruit d’une relation entre deux personnes, la fusion de deux sensibilités et de deux regards qui ne voient pas toujours la même chose, qui ne perçoivent pas forcément les situations de la même manière. Si les différents couples de la série se font beaucoup de mal et explosent, il en émane souvent, au bout du tunnel, un amour persistant. Peut-être que l’amour n’est pas infini comme on en rêvait étant enfant. Il fait sûrement beaucoup de mal. Mais ce que raconte aussi et surtout « The Affair », c’est le souvenir obsédant qu’il laisse, ce lien qui perdure quoi qu’il arrive, qui n’appartient ni au couple ni vraiment à l’amitié, et qui peut amener au pardon et à la rédemption.

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En opposition à l’amour du couple il y a l’amour filial. Le rapport à la famille traverse chaque épisode. En face de chaque personnage finit par se dessiner l’enfant qu’il a été et l’adulte, souvent devenu parent ou en quête de l’être, qu’il est devenu. C’est le dessin du schéma de l’existence, de comment on se débat avec ce qui nous a précédé, en refaisant parfois douloureusement les mêmes erreurs, en avançant avec la crainte d’être le reflet de nos parents et de leurs échecs.

Il y a énormément de choses à écrire sur « The Affair », signe de la qualité de cette série à la profondeur rare et qui n’est pas du genre à vous lâcher. Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu quelque chose d’aussi beau et fort même s’il faut avouer que parfois on a presque du mal à respirer tant on étreint la souffrance de ses beaux personnages. Grande série.

« The Affair » est notamment disponible en streaming en intégralité via l’offre Mycanal

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3