FICTIONS LGBT

THÉ ET SYMPATHIE de Vincente Minnelli : violence de la norme

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Un campus américain. Tom Lee (John Kerr) approche de ses 18 ans. Sa vie n’a pas été de tout repos : il a été marqué dès le plus jeune âge par le divorce de ses parents, sa mère disparaissant alors qu’il n’avait que 5 ans. Elevé par son père et différentes bonnes, il a toujours cultivé des centres d’intérêts différents des autres garçons. Il rêve de devenir chanteur, peut passer des heures à écouter de la musique ou lire des poèmes, s’intéresse aux fleurs, aime soigner l’intérieur de sa chambre… Pour ce garçon sensible et raffiné, la vie étudiante n’est pas des plus reposantes : mis à part son camarade de chambre Al, il n’a aucun ami. Il peine à se fondre dans la masse, n’étant pas intéressé par tout ce qui obsède les jeunes hommes de son âge : le sport et les filles. Tom préfère ainsi rester seul dans sa chambre ou se plaît à converser avec la femme du professeur chez qui il loge, Laura Reynolds (Deborah Kerr).

Cette dernière le fascine par sa beauté et sa gentillesse. Il l’observe, la suit, avec un peu trop d’insistance parfois. Un après-midi, il vient se joindre à elle et à d’autres femmes de professeurs. Il se met à coudre en leur compagnie et est surpris par quelques-uns de ses camarades qui se mettent dès lors à le surnommer « Sister Boy » (La fillette) et à le tourner en dérision. Tom va devenir le bouc émissaire de sa promotion, victime de rumeurs qui ne disent pas vraiment leur nom (mais à l’évidence, on le soupçonne d’être un homosexuel en devenir). Alors que son père ne cache pas son embarras face à un fils dont il regrette le fait qu’il soit différent, la pression monte pour Tom, contraint d’abandonner la pièce où il devait incarner un rôle d’envergure (mais estimé féminin), objet de railleries, devenant une bête curieuse, une fréquentation honteuse (son camarade de chambre Al, malgré toute l’affection qu’il lui porte, finira par changer de logement afin d’éviter de mettre sa propre réputation en danger).

Face à toute cette intolérance et cette détermination à juger et condamner toute personne n’étant pas exactement comme les autres, Laura Reynolds a envie de se révolter. Bien qu’on lui ai dit qu’elle ne devait rester que spectatrice de ce qui se passe sur le campus, se contenter d’offrir « du thé et de la sympathie », elle a de plus en plus envie de sortir de son rôle d’observatrice passive, d’épouse de prof tenue de faire bonne figure. Seul soutient de Tom, à la fois pour lui figure maternelle et objet de désir, elle va peu à peu aller à l’encontre des convenances pour le sauver…

thé et sympathie film

Adaptation de la pièce éponyme de Robert Anderson, Thé et sympathie fut interdit lors de sa sortie au Royaume-Uni pour ses allusions à l’homosexualité. Longtemps resté un des films les plus secrets de son réalisateur, Vincente Minnelli, le long-métrage gagne à être vu aussi bien pour ses qualités esthétiques (couleurs magnifiques, mise en scène douce et enchanteresse pour un sujet complexe et plein de nuances) , pour son magnifique duo d’interprètes que pour son propos allant contre l’intolérance et le conformisme. Le jeune Tom, beau garçon romantique et subtil, vit au milieu de ses camarades sans prêter trop d’importance au fait que ces derniers le tiennent à l’écart. Il est bien dans son monde, se satisfait de ses après-midis à converser avec Laura Reynolds, mariée à un prof de gym qui selon lui ne la mérite pas. Mais quand il est surpris en train de faire de la couture en compagnie de dames plutôt que de participer à un jeu de balle comme tous ses camarades, les petites moqueries se font plus lourdes, plus mesquines. On reproche à Tom sa singularité, sa sensibilité, sa délicatesse, le fait qu’il ne parle pas de filles, qu’il ne soit pas sportif. On pointe du doigt sa démarche, on refuse de voir ses qualités (il bat largement un de ses camarades lors d’un tournoi de tennis mais personne n’en tient compte, même pas son père pourtant venu à l’origine pour assister à la partie). Plus que l’horreur du rejet d’une différence, le film de Minnelli montre à quel point le poids des convenances peut briser un être, comment le virus de la médisance se répand, comment ce qui est perçu comme la norme peut entraîner le rejet et la destruction des plus belles singularités.

Sur le campus règne la loi de la masculinité. Une masculinité qui se veut très codifiée : pour être un vrai jeune homme, aspirer à la virilité, il faut être sportif, dragueur, avoir bonne réputation. Le père de Tom, lorsqu’il vient lui rendre visite, est très déçu de constater que son fils ne mène pas la même vie étudiante que lui, qu’il n’a pas une bande d’amis pour l’applaudir alors qu’il dispute une partie de tennis. Pour le père, le fait de ne pas avoir de camarades, d’être un outsider, est tellement honteux qu’il préfère suivre une vieille connaissance à un autre match plutôt que de soutenir son fils. Il poussera ce dernier à changer de coupe de cheveux, à abandonner sa pièce de théâtre, lui mettra la pression pour qu’il fonce dans la mêlée lors d’une soirée de bizutage…

Tom prend chacune de ces demandes comme une attaque : il ne comprend pas pourquoi il devrait absolument se forcer à ressembler à ceux qui l’entourent alors qu’il ne se sent pas comme eux. Seule Laura Reynolds semble être capable de voir le bon en lui, s’abstient de le juger. Cette femme, belle et entière, retrouve chez Tom l’image d’un premier mari, perdu à la guerre, qui comme lui était un garçon pas comme les autres, plus sensible que la moyenne. Traité de lâche, il avait foncé à la guerre pour prouver aux autres et à lui-même qu’il était un homme, un vrai, quitte à y laisser sa peau. Ce premier mari disparu, Laura s’est remariée avec Bill Reynolds, un homme plus ordinaire, viril, un peu rustre, qui ne semble pas faire son bonheur. Dans son petit appartement, elle étouffe, regrette de ne pas servir à grand chose, que son avis ne soit jamais vraiment considéré. Auprès de Tom, elle trouve un regard affectueux, un garçon qu’elle peut aider, comprendre mieux que personne. En le sauvant, elle pourrait peut-être se sauver elle-même d’un quotidien qui l’emprisonne.

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Plus Tom se laisse abattre et prend ce qui le singularise comme une malédiction, un défaut à travailler, contre lequel lutter, plus Laura est envahie par l’envie de se rebeller, d’aller contre le machisme environnant. Le lien particulier, à la fois fragile et complexe, entre le jeune étudiant perdu dans son identité et la femme plus âgée, belle et maternelle, est au centre du film. Pour se prouver qu’il est bien un homme, Tom essaiera d’aller coucher avec la serveuse du café du coin, que tous ses camarades convoitent. Mais c’est finalement grâce à Laura, qui en quelque sorte se sacrifiera pour lui donner l’assurance qu’il lui manquait, qu’il parviendra à dépasser ses peurs, à faire de ce qui le rendait faible une force. La femme se met en danger, envoie valser la morale et les codes établis, pour sauver Tom, pour honorer la mémoire de son premier amour aussi. De retour des années plus tard sur le campus, devenu écrivain, Tom ne pourra que se souvenir avec émotion de cette femme sublime et courageuse qui lui a tant donné.

Thé et sympathie évoque aussi bien la difficulté d’être un jeune « suspecté » d’homosexualité que le poids de la différence, le supplice du regard de ceux qui pensent incarner la norme et qui estiment avoir le droit de malmener ceux qui ne vont pas dans la même direction qu’eux. Le chemin de croix parcouru par Tom ,alors qu’il est bel et bien hétéro, laisse entrevoir l’enfer qui se serait présenté à lui si les rumeurs d’homosexualité le visant étaient bien fondées. Derrière ses belles images, ses scènes pleines de grâce et de poésie, le film dénonce la bêtise humaine, célèbre la grandeur des marginaux, de ceux qui se battent pour rester fidèles à ce qu’ils sont.

Film sorti en 1956 et disponible en DVD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3