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THE POWER OF THE DOG de Jane Campion : lent poison

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Adaptation d’un roman de Thomas Savage, The power of the dog oscille entre drame très noir (évoquant de par son style de grands drames américains des années 1950) et thriller vénéneux. Un film captivant qui agit comme un lent poison. Article avec spoilers. 

Montana, années 1920. Le film s’ouvre sur une voix off du personnage de Peter Gordon (Kodi Smit-McPhee) racontant à quel point il tient à protéger sa mère, Rose (Kirsten Dunst), suite au décès tragique de son père. Il vit seul avec elle, est un jeune homme taciturne, un peu étrange mais à l’évidence brillant et méticuleux. Il se rêve en médecin et en attendant de retrouver le chemin de l’université aide Rose dans son travail quotidien. Cette femme à l’évidence fragile, hyper sensible et facilement aspirée par la mélancolie, tient un petit restaurant où les hommes du coin viennent souvent déjeuner. Le lieu est notamment prisé pour ses poulets frits et pour la petite attraction que constitue le piano mécanique occupé par un musicien dans la salle principale. 

Un jour, lors d’un grand déjeuner, Rose et son fils doivent servir les frères Burbank, Phil (Bennedict Cumberbatch) et George (Jesse Plemons), et leurs amis. Ces deux frères très opposés ont réussi à monter leur affaire et sont aujourd’hui les propriétaires d’un grand ranch. Phil attribue leur succès à l’éducation et l’aide qu’ils ont reçu de leur mentor, aujourd’hui disparu, Bronco Henry. Il voue à cet homme un culte total et son absence semble lui peser énormément. Autoritaire, possiblement colérique et assez sadique, Phil aime avoir l’ascendant sur son frère George qu’il se plait à essayer de rabaisser et de garder sous son contrôle. Mais il apparait assez clairement que George souhaite s’émanciper de l’emprise de son frangin manipulateur et aux penchants misogynes. 

Alors qu’ils mangent dans le restaurant de Rose, Phil s’amuse à tourner en dérision et jouer avec les nerfs du jeune Peter dont il ne semble pas apprécier l’allure fragile voire efféminée. Le type de « chochotte » qu’un mâle alpha du Montana comme lui a en horreur. Peter encaisse les petites humiliations du mieux qu’il peut et au final c’est surtout sa mère, trop empathique, qui craque. Après le repas, George la trouve en larmes dans la cuisine. Il est touché par cette femme modeste, belle et sensible que son frère s’est retrouvé à écorcher. 

Les jours et les semaines qui suivent, George va tenter de se rapprocher de Rose et y arriver. Phil voit la chose d’un très mauvais oeil. Ultra possessif avec son frère, l’idée qu’il puisse lui échapper et exister par lui-même le rend dingue. Il essaie de le dissuader de passer du temps avec celle qu’il dépeint comme une veuve qui n’en veut qu’à l’argent familial. George ne l’écoute pas et lui annonce un jour qu’il s’est marié à Rose. Trop tard.

Attentionné et délicat, George cherche à faire le bonheur de son épouse mais sans le faire exprès en voulant la sauver de sa condition modeste il va plus la détruire que la sauver. Rose se retrouve propulsée au milieu du ranch familial et va devoir cohabiter avec Phil qui la déteste. L’animosité et les petits jeux cruels du beau-frère vont petit à petit la faire basculer dans une forme de dépression. Ne se sentant pas à sa place et à la hauteur dans ce cadre bourgeois, l’épouse se met à boire en cachette et à s’autodétruire. Tout cela arrive alors que son fils Peter est heureusement loin : il poursuit des études en médecine loin du ranch des Burbank. 

Quand arrive l’été, Peter se laisse convaincre de venir passer du temps dans le ranch de sa mère même s’il n’a aucune envie de croiser le monstrueux Phil. Contre toute attente, ce dernier va finalement tenter de se rapprocher de lui. On devine qu’il entend se servir de Peter, qu’il perçoit comme naïf, pour atteindre Rose et la briser encore un peu plus. Le rapprochement entre le cowboy rustre et macho et le jeune étudiant médecin timide va petit à petit prendre un tournant étrange et vénéneux… 

the power of the dog film
the power of the dog film
the power of the dog film

Jane Campion signe ici un film qui n’est pas forcément facile et c’est tout à son honneur. The power of the dog opte pour un rythme lent et balade son spectateur en eaux troubles pendant un bon moment. Il n’est pas aisé de deviner vers quoi le film essaie de nous emmener. L’atmosphère est d’emblée pesante, un peu lourde, chargée en ambiguïté. Il ne semble franchement pas faire bon vivre dans cet univers de western poussiéreux du Montana des années 1920 où les hommes doivent être des durs qui cachent leurs sentiments et où les femmes n’ont pas leur mot à dire. 

the power of the dog film

Si tout le cast est exceptionnel, Bennedict Cumberbatch crève facilement l’écran et occupe l’espace en incarnant le cruel personnage de Phil. Il tente de vampiriser son frère qu’il sait plus doux que lui mais quand celui-ci lui échappe et arrive à marquer son indépendance il décide de s’acharner sur son épouse. 

On remarque d’emblée le lien déjà assez étrange entre les deux frères. Un rapport bourreau-victime que Phil tente de cultiver, un George qui essaie progressivement de prendre ses distances. Ils dorment ensemble comme un vieux couple, Phil semble par moments attendre de son frère une forme de tendresse qui flirte un peu avec l’inceste. Malgré sa puissance et sa capacité à jouer les durs menaçants, Phil se retrouve sur la touche et blessé alors que son frère goûte à l’amour et au bonheur avec Rose. Un bonheur qui lui apparait insupportable et qu’il va chercher à détériorer avec obstination. 

Kirsten Dunst retrouve ici un rôle fort et déchirant en femme sensible au coeur d’or, trop douce pour un monde de brutes. Elle a la grâce des héroïnes sacrifiées des grands mélodrames et on a pratiquement mal au coeur pour elle à chacune de ses apparitions. Le rapport au personnage est physique, on ressent toute sa souffrance, ça fait très mal. Il y a une forme de cruelle ironie dans le fait qu’en espérant la sauver George l’ait finalement jetée dans la gueule du loup : il aura beau faire tout ce qu’il veut, ni lui ni Rose ne seront en mesure de faire face à la dureté de Phil et de ses jeux vicieux. Et même si c’est dur à admettre, George sait au fond de lui que Phil finira toujours par l’emporter car sa méchanceté n’a d’égal que sa redoutable intelligence. 

the power of the dog film
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Présenté comme un monstre, Phil est pourtant loin d’être un homme sans failles même s’il aime en donner l’impression. Très rapidement dans le récit, on comprend que son point faible est le besoin d’une compagnie, d’une affection masculine. Homo refoulé, Phil s’est transformé en bourreau viriliste. Il cherche d’abord cette affection de façon purement platonique avec son frère qu’il se plait pourtant à humilier. On devine que le culte que Phil porte à son mentor disparu Bronco Henry cache quelques désirs secrets également et on va en avoir la confirmation quand le jeune Peter va venir passer son été dans le ranch familial. Le jeune homme découvre dans une cabane appartenant à Phil des revues homo-érotiques appartenant à Bronco Henry et que son poulain a conservé… 

Quand Phil décide de se rapprocher de Peter et de devenir en quelque sorte son Bronco Henry à lui, son moteur semble avant tout être la destruction totale de la pauvre Rose. Peter a l’air de mordre à l’hameçon. La relation qui va se tisser entre les deux hommes parfaitement contraires en apparence va prendre une tournure de plus en plus inattendue. 

the power of the dog film
the power of the dog film

Si tout le long de ce long-métrage très élégant, à la mise en scène inspirée et au charme intemporel la réalisatrice Jane Campion semblait s’amuser avec le language cinématographique pour insuffler du crypto-gay un peu partout et des bribes d’homoérotisme, la chose devient dans sa dernière partie plus franche et explicite, plus démonstrative (tout en restant quand même dans une forme de retenue – rappelons que nous sommes dans les années 1920). The power of the dog épouse alors subitement le genre du thriller redoutable et se révèle être une partie sombre et malsaine de dominos. Le final pourra apparaître glaçant et/ou jouissif selon les spectateurs, jouant de l’ambivalence, des nuances : les monstres et les faibles ne sont pas toujours ceux que l’on croit. 

Pour sa belle mise en scène contemplative qui évoque les grands classiques du cinéma, son intrigue redoutable, son suspense étiré et chirurgical, son interprétation délectable, son histoire qui égratigne la masculinité toxique et le refoulement, son atmosphère malsaine, un peu sadique et enfin son jeu habile avec le crypto-gay, The power of the dog est un grand film à saluer. 

Film sorti en 2021 sur Netflix France 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3