CINEMA

THE TREE OF LIFE de Terrence Malick : pour la grâce

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Chaque être humain aurait le choix entre suivre le chemin de la grâce ou celui de la nature. Décider de rester droit malgré l’adversité, accepter l’injustice du monde, tendre l’autre joue, ou ruser, faire ses armes pour dominer les autres, s’imposer. De l’origine du monde à aujourd’hui, en passant par les années 1950, de la Terre à l’au-delà, Terrence Malick s’est lancé dans le projet fou de raconter l’histoire de la vie. La forme ne pouvait être classique, l’intrigue ne pouvait être linéaire. Pour toucher à l’universel, le cinéaste livre une œuvre surprenante, sorte de poème intemporel où se mêlent intrigue familiale faussement traditionnelle et passages en images de synthèses ou prises de vues réelles dévoilant le monde, ses beautés, ses pièges.

Comme d’habitude, le réalisateur a beaucoup recours à la voix off et à la musique pour atteindre des sommets de lyrisme. Mais The tree of life est définitivement son film le plus mystérieux, le plus audacieux, presque expérimental par moments. Il requiert donc un abandon du spectateur, invité à replonger dans des souvenirs enfouis, des sensations qu’il croyait perdues, des réflexions qu’il avait peut-être mises de côté.

La base du film peut paraître un tantinet simpliste au départ : la nature (imprévisible, prétexte à céder au mal) contre la grâce (cette faculté à ne jamais céder à ses mauvaises pulsions, ses faiblesses, sortir grandi du pire). Et pourtant, c’est l’histoire de notre vie qui se joue ici. Terrence Malick, par de petits détails (une mère qui s’occupe de son enfant qui vient de se blesser, qui lui apprend à parler, ses mots doux…) nous fait retomber en enfance, nous ramène à l’origine.

On se dit qu’il y a beaucoup de grâce dans le fait de devenir parents. Car avoir un enfant, s’occuper d’un petit bébé, c’est l’aimer tout de suite, inconditionnellement. C’est tout accepter de lui sans jamais le renier, toujours être là. Ce n’est alors pas un hasard si beaucoup de personnes dans leur vie, au moment du bilan, se disent que la chose dont ils sont le plus fiers c’est leurs enfants. Car ils ont tout donné pour eux, tout accepté, pardonné.

La famille apparaît comme un cocon, où tout le monde s’aime, se protège. Emerveillement. Mais les choses se gâtent avec le temps. Les petits garçons grandissent, commencent à parler, à réfléchir, à découvrir que le monde n’est pas comme leur foyer. Dehors il y a d’autres personnes, fruits d’autres éducations, d’autres histoires, qui peuvent blesser, mettre à rude épreuve le bon code de conduite.

Le monde n’est pas juste. Le pire arrive souvent aux plus gentils. Comme pour tester leur force, rendre plus complexe leur quête de grâce. Dans la famille O’Brien, passée l’époque bénie des premiers apprentissages, du jeu, de la protection, le petit Jack découvre un père plus froid, très autoritaire. Il doit composer avec deux parents opposés. Le père qui a pris le chemin de la nature, qui veut devenir quelqu’un d’important, réussir, pour combler sa frustration de ne pas avoir poursuivi son rêve de devenir musicien. Et la mère, gracieuse, qui encaisse la mauvaise humeur, les colères, les coups de son mari qui la perçoit comme naïve. Une maman qui oublie la dureté du monde pour toujours veiller avec bienveillance et douceur sur ses petits.

the tree of life film

Le jeune Jack va réaliser à quel point il est dur de suivre l’idéal de la grâce. La tentation du mal est partout. Comment accepter les crises et humiliations du père, les comprendre à un si jeune âge, ne pas se révolter ? Comment ne pas suivre ses petits camarades qui se livrent à des jeux violents et parfois sadiques ? Très tôt, la tentation du mal est partout. Peut-on changer, se redresser en cours de route ? Une fois adulte, Jack pense approcher de la vérité, mais c’est peut-être déjà pour lui l’heure des adieux.

The Tree of life nous entraîne au cœur d’une quête universelle et complexe, évoque des paradis perdus et une impuissance commune face aux rudes épreuves de la vie. Revenir à l’origine, ne pas l’oublier, pour essayer d’être meilleur. Peut-être trouver la paix éternelle, ailleurs. La mise en scène, fluide, sensuelle, poétique, nous permet de nous échapper de notre vie et ses questionnements dérisoires. En moins de 2h30, le cinéaste nous propulse vers la grâce ultime, qui pourrait bien ne s’offrir, prendre forme, que sur un écran de cinéma. Expérience psychique et physique, à la fois limpide et exigeante, The tree of life n’a pas volé sa Palme d’or au Festival de Cannes 2011 et trouve un écho singulier dans le cœur du spectateur, invité à se recentrer sur l’essentiel.

Film sorti en 2011 et disponible en DVD

 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3