FICTIONS LGBT
THÉO & HUGO DANS LE MÊME BATEAU d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau
Paris, tard la nuit, au sexclub naturiste L’Impact. Théo (Geoffrey Couët) ne lâche pas des yeux un beau brun déjà bien occupé, Hugo (François Nambot). Petit à petit, il trouve le moyen de s’approcher de lui, bravant et utilisant les corps. Les garçons s’embrassent et finissent par coucher ensemble. Ils font l’amour, il se passe quelque chose. Passé l’orgasme, ils montent se rhabiller et décident de continuer leur chemin ensemble. Il est bientôt 5 h du matin, les rues de la capitale sont vides. On s’y balade à pied, en vélo ou en courant. Euphorie et maladresses « du tout début », l’envie d’aller dormir chez l’autre… Et puis, au détour d’une phrase, tout se fragilise : Théo n’a pas porté de préservatif et il se trouve qu’Hugo est séropositif. Entre passage en urgence à l’hôpital et déambulations nocturnes, ils vont affronter ensemble cette « situation de crise », apprendre à se connaître et se confronter à des sentiments forts et contrastés, ceux d’un coup de foudre qui ne dit pas son nom…
Ne tournons pas autour du pot : Théo et Hugo dans le même bateau est le film le plus libre, le plus beau et le plus réussi à tous les niveaux (photographie, son, utilisation de la musique..) d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau. Filmé quasiment en temps réel, parfois dans une relative illégalité, ce nouveau long-métrage est touché par la grâce et nous accroche à notre fauteuil de la première à la dernière minute. Les amateurs de « walking movies » ou d’oeuvres dépeignant la rencontre amoureuse pourront difficilement y résister. Des tas de titres nous viennent en tête, du merveilleux Weekend d’Andrew Haigh en passant par les films de la Nouvelle Vague (Cléo de 5 à 7 compris, forcément, mais aussi le temps d’une scène en forme de clin d’oeil coquin Le Mépris…). On se fait d’ailleurs la réflexion que s’il n’y avait pas de portables, de vélibs et le VIH en toile de fond, ce film-là serait un peu celui de la Nouvelle Vague abordant une romance gay dont on a tous un jour rêvé. A la fois complètement intemporel et moderne dans son traitement, l’ensemble est un véritable ravissement, un moment de magie et d’amour qui fait battre le coeur non stop.
Dès une première partie (dé)culottée qui nous plonge pendant une vingtaine de minutes au coeur d’un sexclub, Olivier Ducastel et Jacques Martineau se hissent à un niveau d’intensité rare. La danse des corps qui s’emboitent, Théo qui avance à tâtons vers sa cible, un baiser magnifique et romantique au coeur de la débauche : on adore ! Il y a quelque chose de profondément émouvant, de sincère et de libérateur dans le fait de voir ENFIN un film qui montre la sexualité dans ce qu’elle a de plus bestiale et de plus tendre, qui met le désir et le plaisir au même plan que le sentiment amoureux. On pourra en dire ce que l’on veut mais réduire en permanence la sexualité au hors champ n’est pas que subtilité et cela fait un bien fou de voir ces deux (beaux) garçons baiser, faire l’amour et être frappés par un coup de foudre dans un lieu qui à priori ne s’y prêtait pas. Rondement menée, cette ouverture transcende la réalité du lieu, en tire tout le potentiel sauvage et fantasmatique pour en arriver à une sorte de transe, une rêverie aussi sentimentale qu’érotique.
Ce qui suit est différent mais pas moins emballant, bien au contraire. Paris, la nuit, Theo et Hugo sont portés par l’euphorie, s’attirent comme des aimants. Mais voilà qu’Hugo réalise que Theo a couché avec lui sans capote et qu’il avoue à ce dernier être séropositif et qu’il faut qu’il aille à l’hôpital. Le thème du VIH / Sida est récurrent dans l’oeuvre des réalisateurs et elle est ici, une fois de plus, traitée avec beaucoup de délicatesse, de pédagogie même. On suit la peur, le doute de celui qui craint d’être infecté, la « procédure » du traitement d’urgence. Hugo raconte comment il a lui-même vécu son infection, la solitude, une époque différente, moins « facile ». Cet « accident » va forcément semer le trouble dans le lien qui se dessine entre les deux amants. C’est comme si soudain tout s’accélérait et s’amplifiait : leur rapport, tout frais, se hisse à un autre niveau avec d’autres enjeux. Thanatos menace Eros.
Evitant et retournant bien des clichés, Theo et Hugo dans le même bateau filme aussi et surtout la rencontre ultra attachante et magnétique de deux jeunes gays dans la capitale. Cette dernière occupe une place de choix, théâtre du vagabondage des possibles amoureux en devenir qui se cherchent et se confrontent. Ducastel et Martineau capturent l’atmosphère, le parfum et le mystère des rues parisiennes à l’approche du petit matin. L’âme qui émane des rues désertées, la recherche d’une boulangerie ou d’un kebab pour trouver quelque chose à manger, le moment du premier métro, le retour dans son appartement alors que le jour se lève… Il y a dans tout cela quelque chose d’infiniment poétique, quelque chose de l’ordre du quotidien sublimé mais jamais figé. C’est du cinéma à l’état pur, au-delà de la vérité et du réel (les dialogues, qu’ils soient littéraires ou improvisés, sont d’une justesse sidérante, entêtants comme une chanson).
Dans cette virée qui décroche de multiples sourires et fait palpiter le coeur, les seconds rôles ont aussi leur importance. Ils sont les témoins d’un amour naissant, des figures sociales, des images de la vie parisienne qui se livrent sans filet l’espace d’un court instant (on retrouve dans ces fausses digressions quelque chose du cinéma de Jacques Demy que les auteurs chérissent tant / cette foi en la rencontre, cette part laissée à la magie de la vie et du hasard).
Il y a enfin, bien évidemment, au coeur du métrage, deux comédiens remarquables. Geoffrey Couët et François Nambot se donnent tout entiers, comme on a rarement vu ça. On vit leur rencontre, on a l’impression d’être Théo qui tombe amoureux d’Hugo et qui ne sait plus quoi penser alors que son corps est entre peur et pulsion. Deux visages qui resteront longtemps en tête pour, sans doute, l’une des plus attachantes et marquantes rencontre / love story gay qu’on ait eu l’occasion de voir dans le cinéma français. Un film coup de foudre, déjà culte, indispensable.
Film sorti en 2016 et disponible en DVD