FICTIONS LGBT
TORCH SONG TRILOGY de Paul Bogart : aimer et assumer
Début des années 1950. Alors qu’il n’est qu’un petit garçon, Arnold (Harvey Fierstein) , est surpris par sa mère, enfermé dans un placard, recouvert de maquillage et « déguisé » en femme. 20 ans plus tard, nous le retrouvons à New York, gagnant sa vie en s’illustrant dans un spectacle musical et humoristique de drag queen. Queer et ultra sensible, Arnold affronte la vie la tête haute, toujours avec humour, même quand il se trouve en terrain hostile. Ayant fait son coming out très jeune, il culpabilise d’être le vilain petit canard d’une famille parfaite, frère qui marche droit, parents amoureux après 35 années de mariage et faisant leur maximum pour l’accepter tel qu’il est.
Un soir, dans un bar gay, celui qui sur scène se fait appeler Virginia Hamm, croise le regard d’un beau blond à la fois viril et maladroit : Ed (Brian Kerwin). Il est bisexuel, ni ses parents ni son entourage ne se doutent de ses penchants pour les hommes. Arnold tombe très vite sous son charme mais réalise qu’ Ed n’assume pas. Ce dernier finit par se séparer de lui le soir de son anniversaire, après l’avoir abandonné pour diner avec une jeune femme qui deviendra plus tard sa compagne. Les années passent et Arnold se remet de cette séparation, trouvant un nouvel amour pour le moins inattendu. Il se met en effet en couple avec le jeune et romantique Alan (Matthew Broderick), acteur venu à New York pour pouvoir vivre son homosexualité au grand jour. Malgré leur différence d’âge, ils partagent une relation très forte, tendre, que le quotidien ne parvient jamais à fragiliser. Ils songent à prendre un appartement à deux, à adopter. Mais survient un terrible incident qui obligera Arnold à remettre une nouvelle fois sa vie en perspective…
Adaptation d’une trilogie théâtrale réunie dans une même pièce, écrite et interprétée par Harvey Fierstein (qui reprend ici le rôle principal d’Arnold), Torch Song Trilogy est devenu un film culte pour la communauté gay et un film de référence tout court pour beaucoup. Le titre fait référence aux Torch songs, chansons sentimentales durant lesquelles l’interprète se lamente en évoquant des amours perdus ou impossibles. Le long-métrage de Paul Bogart est le portrait d’Arnold et de ses relations contrariées avec les personnes qu’il aime. Tout d’abord sa mère, avertie très tôt de l’homosexualité de son fils, venant troubler un parfait équilibre familial. Une mère en apparence très compréhensive, qui écoute le récit de ses histoires d’amour, qui accepte la vie atypique, excentrique d’un fils en marge, gagnant sa vie en se travestissant la nuit. Toutefois, cet amour inconditionnel se révélera plus fragile qu’il n’y paraît. Au fil du temps, Arnold va réaliser que sa mère ne le comprend pas, perçoit son homosexualité comme un choix, le porte en partie responsable du certain désespoir de son père qui n’a jamais rien dit, essayant de feindre la tolérance mais ne pouvant à l’évidence s’empêcher de se demander ce qu’il avait fait de mal pour hériter d’un enfant aussi haut en couleurs. Cette relation mère-fils est très intense et très belle, complexe, faite de confrontations et de moments de tendresse.
Il y a aussi Ed, homme bisexuel qui se présente comme le potentiel grand amour d’Arnold. Mais il ne s’assume pas, regrette de ne pas être « normal », aimerait surmonter ses pulsions pour se marier et avoir des enfants. C’est pour poursuivre cet idéal hétéronormé qu’il quitte celui qu’il semble pourtant aimer. Il se met en ménage avec une femme qui l’aime profondément, qui connaît son attirance pour les personnes du même sexe mais l’accepte tel qu’il est. Ainsi, des années plus tard, c’est elle qui appelle Arnold pour l’inviter à passer un week end avec elle et son mari, conviant également le nouveau partenaire d’Arnold, le jeune Alan. A travers ce couple hétéro, le scénario montre une nouvelle forme d’amour qui bataille contre tous les obstacles. La compagne d’Ed, Laurel, sait que son mari est attiré par les hommes mais refuse pour autant de baisser les bras. Elle est prête à tout accepter de sa part mais finira malheureuse, abandonnée. En refusant de choisir de s’assumer, Ed blesse tous ceux qui tombent amoureux de lui. Sa relation avortée avec Arnold laissera la place à une belle amitié des années plus tard avant que les sentiments amoureux ne refassent surface.
Enfin, la vie d’Arnold est bouleversée par sa rencontre avec Alan, jeune homme qui l’aime éperdument, lui apporte tout ce qu’Ed lui refusait. Il ne le juge pas, au contraire s’amuse et l’admire alors qu’il est sur scène dans son personnage de Virginia Hamm. Ils forment un couple fusionnel, qui parvient à surmonter tous les obstacles et qui n’a pas peur d’avancer à deux. Mais la réalité rattrape cette romance poignante, Alan finissant un soir dans la rue par être victime d’une attaque homophobe. Il restera dans la vie d’Arnold, comme un fantôme, un rêve que la vie a arraché.
L’écriture est subtile et l’interprétation magnifique. La candeur et la sensibilité d’Alan campé par le tout jeune Matthew Broderick, la douceur et l’incompréhension d’une mère marquante brillamment jouée par Anne Bancroft, la virilité un brin forcée et les émotions contradictoires de l’indécis Ed incarné par Brian Kerwin… Et puis surtout Harvey Fierstein dans la peau d’Arnold. Un personnage inoubliable, qui se bat pour assumer, imposer sa personnalité aussi marginale puisse-t-elle être. Un mélange d’exubérance et d’ultra sensibilité. C’est comme si toutes les émotions traversaient son visage. On a constamment envie de le prendre dans nos bras. Un de ces personnages de cinéma hyper attachant, au caractère fort qui masque une grande vulnérabilité.
Doté d’une dernière scène bouleversante et qui synthétise tout le film, Torch Song Trilogy nous laisse face à son anti-héros, réalisant que malgré toutes les contrariétés, les épreuves de la vie, il fut entouré de personnes qui lui ont porté et qui lui portent encore un amour aussi précieux que rare. On ressort de là très ému…
Film sorti en 1988 et disponible en DVD