FICTIONS LGBT
UN PRINCE de Pierre Creton : de chair et de fleurs
Long-métrage hors du temps qui invente son propre langage, Un prince de Pierre Créton avait eu les honneurs d’une sélection à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes en 2023. Un ofni homo-érotique, (très) exigeant, et profondément singulier.
On entre dans le film alors que plusieurs voix off se succèdent, ne collant pas forcément toujours aux images à l’écran. Le spectateur est averti : ici on ne le tiendra pas par la main et il va devoir se laisser aller pour entrer dans une forme de transe. Le texte, très littéraire et précieux, nous perd un peu et lassera probablement d’emblée un bon nombre de spectateurs n’étant pas forcément enclins à s’embarquer dans ce qui constitue une expérience de cinéma à la lisière de l’expérimental.
Se dessine petit à petit, au-delà des voix off un peu fatigantes des pourtant doué.e.s Françoise Lebrun, Mathieu Amalric et Grégory Gadebois le portrait d’un jeune homme, Pierre-Joseph (Antoine Pirotte, magnétique de charme naturel) qui se passionne progressivement pour les fleurs et les plantes. Intégrant un centre de formation et d’apprentissage pour devenir jardinier il se lie avec son professeur de botanique âgé, Alberto (Vincent Barré), puis part à la campagne pour travailler chez un autre homme mur, Adrien (Pierre Barray).
Si l’on craignait d’être assommé par le verbiage de la voix off, celle-ci nous surprend par moments en évoquant de façon crue les désirs et l’intimité du personnage principal. Pierre-Joseph est d’abord présenté comme un jeune homme gay ordinaire qui couche avec des garçons de son âge. Petit à petit, il se révèle être attiré par des hommes beaucoup plus âgés qui vont faire exploser son désir et ses sens. Le réalisateur Pierre Creton, qui est indéniablement un cinéaste doué et dont la composition des plans accroche en permanence la rétine, finit par entremêler l’organique, la nature, aux danses sensuelles des corps masculins.
Si l’histoire autour du Prince qui donne son titre au film nous égare un peu (à l’exception d’une scène d’intimité pour le moins surprenante et inoubliable), si la variation sur les vivants et les morts et l’aspect surréaliste sonne comme une élucubration pour plaire à une certaine critique française intello (on n’est si peu surpris que Les cahiers du cinéma version années 2020 ont adoré), le projet attire tout de même la sympathie pour les images fortes qu’il diffuse avec une rare douceur, une certaine volupté même. Si pendant cinq minutes on s’ennuie ferme ou on regarde sa montre, c’est pour mieux être fortement troublé quelques moments plus tard. On sort du film pas tout à fait convaincu mais comme hanté. Pierre Creton réussit malgré tout à planter quelque chose en nous et son geste si radical, si différent, attire la sympathie. Les cinéphiles aventureux ne devraient pas regretter l’expérience, surtout s’ils sont armés de patience.
Film sorti en 2023 et disponible en VOD
