CINEMA

UPSTREAM COLOR de Shane Carruth : hypnothisés

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Kris (Amy Seimetz) est une jolie trentenaire à la vie bien réglée. Sa vie bascule quand un inconnu (désigné au générique comme « Le voleur ») fait irruption dans son quotidien. Ce dernier lui fait ingurgiter une pilule à l’intérieur de laquelle se trouve un curieux ver. Kris se retrouve alors plongée dans un état profond d’hypnose et le voleur en profite pour lui soutirer de grosses sommes d’argent avant de la laisser seule, affamée et avec un ver vivant se déplaçant dans son corps, au milieu d’un appartement sens dessus dessous !

Paumée et victime d’un lavage de cerveau, la femme panique. Elle est «sauvée » par un autre inconnu, « Le sampler », qui la soumet à une opération chirurgicale afin d’enlever le ver nocif à l’intérieur d’elle. Cette opération la lie étrangement à un cochon…Alors qu’elle tente de reprendre sa vie de tous les jours et qu’elle ne comprend toujours pas ce qui lui est arrivé, Kris entame une certaine descente aux enfers. Elle est licenciée, est sujet à d’étranges réactions qu’elle ne contrôle pas et ne peut justifier. Un jour, son regard croise celui d’un beau trentenaire. Ils sont irrésistiblement attirés l’un par l’autre et commencent une relation qui peu à peu va les aider à retrouver goût à la vie. Alors qu’il devient clair que son nouveau compagnon, Jeff (Shane Carruth), a été victime du même abus qu’elle, les deux amoureux tentent de se souvenir des bribes qu’il leur reste et de découvrir ce qui s’est réellement passé… 

upstream color shane carruth

Deuxième long-métrage de Shane Carruth, doté d’une très jolie affiche, Upstream Color n’a pas manqué d’intriguer dans les différents festivals internationaux dans lesquels il a été présenté. C’est typiquement le genre de film qui divise le public car il plonge le spectateur dans un grand flou, exige de ce dernier qu’il s’abandonne puis réfléchisse pendant et après la vision. Si certains éléments sont facilement compréhensibles, d’autres parties nous laissent face à de grands points d’interrogations et donnent lieu sur Internet à des explications et tentatives d’interprétations enthousiastes. C’est une œuvre profondément originale, évoquant l’audace de réalisateurs comme Terrence Malick ou David Lynch, et qui mérite d’être découverte par les cinéphiles aventureux. Il émane en effet d’ Upstream Color une puissance rare, un talent fou, une atmosphère unique. Une expérience de cinéma que l’on ressent souvent physiquement et qui travaille l’inconscient, reste longtemps dans l’esprit de celui qui la voit.

Avec énormément de subtilité et de poésie, ce trip parle du capitalisme, de l’amour, du destin, des faux hasards, du rapport à la nature, du cycle parfois implacable de la vie, des forces invisibles qui peuvent régir et bouleverser notre quotidien … Le montage est d’une grande fluidité et on a l’impression de se laisser entraîner dans un grand labyrinthe au cœur duquel on se rattache à la toute puissance des images. C’est intrigant du début à la fin, complètement hypnotique, faisant surgir émotions et sensations fortes sans qu’on parvienne vraiment à expliquer pourquoi. Du cinéma à l’état brut, porté par la grâce de l’abstraction, où l’amour permet de se retrouver alors que plus rien ne semble avoir de sens.

upstream color shane carruth

Il existe sur la toile des articles qui s’évertuent à dévoiler les clés de cette œuvre extrêmement dense et non-conformiste (ici et , par exemple). Libre à chacun de décider s’il souhaite rester simplement sur ce qu’il a ressenti ou s’il souhaite explorer et percer les mystères d’un film obsédant à souhait. Upstream Color est sans aucun doute l’une des propositions de cinéma les plus culottées et les plus émouvantes de la décennie 2010.

Film produit en 2013, sorti en 2017 en France et disponible en VOD

 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3