FICTIONS LGBT
UTOPIANS (Tung lau hap woo) de Scud : l’éveil du disciple
Le cinéaste chinois Scud délivre une nouvelle proposition atypique, intrigante et provocante, à contre courant de l’air du temps avec Utopians (Tung Lau hap woo en VO), un film qui cite ouvertement l’écrivain Mishima Yukio et Socrate.
Le film suit le personnage de Hins (Adonis He) un ravissant jeune étudiant vivant avec sa mère veuve (le papa, un ancien marin, est mort il y a déjà un moment) et coulant des jours assez tranquilles avec sa petite amie un peu coincée Joy (Fiona Wang). Tout bascule lorsqu’à la rentrée un nouveau professeur, charmant et charismatique, Antonio / Ming (Jackie Chow) scandalise une partie de sa classe en parlant de philosophie et en révélant son goût pour les personnes du même sexe.
L’introduction du long-métrage (qui est un clin d’oeil au film qui suivra deux ans plus tard de Scud, Adonis, également avec Adonis He) nous donnait déjà un indice : Hins est moins lisse et hétéro qu’il n’en a l’air et fait des rêves homoérotiques teintés de BDSM. Il est instantanément fasciné et attiré par son nouveau professeur tandis que sa petite amie le déteste dès la première apparition.
Hins ne va pas pouvoir s’empêcher de tenter de se rapprocher de son prof. Quand ce dernier découvre que l’élève lit Mishima Yukio, il est un peu intrigué. La beauté plastique et juvénile de Hins n’est pas non plus pour lui déplaire… Antonio / Ming va prendre Hins sous son aile, l’instruire, aussi bien par ses références artistiques et culturelles, son savoir, mais aussi par des expériences de vie qu’il va lui proposer.
Se rêvant en Socrate moderne qui serait entouré de jolis disciples dénudés, Antonio / Ming cache à peine son entreprise de faire l’éducation sentimentale et charnelle de Hins qui est fortement troublé. Suite à un voyage décisif à Bangkok, ils vont entamer une liaison interdite…
C’est comme toujours avec Scud un drôle de film, inclassable, brouillant les repères et notre rapport à la morale, nous amenant à nous interroger sur l’existence et en particulier les relations intimes. Utopians a un caractère subversif qui est ici amené en douceur, avec des scènes à l’érotisme cru, parfois abrasif.
On vit surtout le film comme un récit d’éveil au désir, un récit d’apprentissage, qui s’accompagne de son lot d’ambiguïté, la relation de « Maitre / disciple » entre Antonio / Ming et Hins ne manquant pas d’ambiguïtés et de zones troubles. Antonio / Ming vit-il vraiment pour la poésie, l’utopie, en quête d’un idéal, d’un absolu, ou n’est-il qu’un hédoniste, un bobo libertin assoiffé de compagnie et de chair de personnes plus jeunes ? La réponse est sans doute dans un entre deux. Utopians invite le spectateur à se demander ce qu’il aurait fait, s’il aurait eu l’audace ou la folie de monter à bord d’une expérience de vie à contre courant ou pas.
Si la variation sur l’existence et l’exploration de l’amour et de la sensualité constituent la trame principale, Scud parle aussi du poids du regard des autres, de la société, et amène une dose de drame familial avec le personnage de la mère de Hins qui cache un lourd secret qui aura son importance dans la dernière ligne droite.
Si une fois encore certaines fautes de goûts pointent le bout de leur nez ici ou là, Scud continue de tisser une filmographie magnétique avec cette pièce étrange et sensuelle au coeur de laquelle le jeune Adonis He rayonne et déborde d’érotisme. Utopians a le don de faire émerger des questions intéressantes tout en proposant une mise en scène singulière quelque part entre les productions Boy’s Love et le cinéma d’auteur.
Film produit en 2015 et disponible sur la plateforme GagaOolala