CINEMA
VACANCES ROMAINES de William Wyler : l’inoubliable balade
Ann (Audrey Hepburn) est une jeune princesse en pleine tournée des capitales européennes. Lors de son arrivée à Rome, la fatigue s’empare d’elle. Elle n’en peut plus de son emploi du temps surchargé, du protocole. Elle donnerait tout pour être une fille comme les autres, pour être libre de ses mouvements, avoir le droit de dire ce qu’elle pense, de s’habiller comme elle veut, de gérer son temps à sa guise. Mais son statut de privilégiée la condamne à devoir répéter toujours les mêmes phrases téléphonées, à toujours se tenir à carreaux. La scène qui l’introduit en dit long sur le personnage et le contexte : alors qu’elle salue de prestigieux invités, Ann enlève discrètement sous sa robe une de ses chaussures pour se soulager d’une démangeaison. Elle peine à remettre son pied dans la chaussure et celle-ci se retrouve mise en évidence, suscitant la stupeur de ses proches et de son personnel. Sueurs froides pour une chaussure enlevée, une possible « mauvaise manière ». Même pour dormir la nuit, elle doit faire attention à ce qu’elle porte. Epuisée, Ann craque et son médecin lui administre un sédatif. N’étant plus vraiment elle-même, elle prend la fuite et se retrouve seule dans les rues de Rome en pleine nuit.
Un journaliste américain, Joe Bradley (Gregory Peck), qui doit faire son interview le lendemain mais qui ne la reconnaît pas, la trouve affalée sur un banc. Il tente de la reconduire chez elle mais quand elle demande au taxi de la conduire au Colisée, personne ne la prend au sérieux. Par la force des choses, Bradley la recueille dans son modeste appartement. Le lendemain, se réveillant trop tard, il part en panique vers les bureaux de sa rédaction, persuadé d’avoir raté son interview avec la princesse. Cette dernière est encore chez lui, endormie. Le palais , qui discrètement à lancé une opération pour la retrouver dans la ville, a annulé sa conférence de presse en la déclarant malade. Après avoir tenté de duper son rédacteur en chef et s’être fait remonter les bretelles, Bradley, découvrant la photo d’Ann dans un journal, comprend que c’est cette dernière qu’il a hébergé chez lui. Euphorique, il se dit qu’il va tirer profit de la situation et lui soutirer une interview exclusive. Un papier qui lui rapporterait gros, lui permettant d’éponger ses dettes et peut-être même de retourner aux Etats-Unis.
Avec la complicité d’un ami photographe, Joe Bradley propose à Ann, qui se fait passer pour une jeune fille échappée d’un pensionnat, de passer une journée de tourisme à Rome. La belle accepte, ils se baladent en Vespa dans la ville, traînent à une terrasse, vont faire la fête. Elle se confie à demi-mots, Bradley jubile à l’idée de tenir un superbe article tandis que son ami prend discrètement des photos à l’insu de la princesse…Mais petit à petit naissent entre Ann et Joe des sentiments qui viennent fausser la donne…
Comédie romantique devenue un véritable classique, ayant valu à Audrey Hepburn un Oscar, Vacances romaines fait un bien fou et a définitivement un parfum de parenthèse enchantée. On se balade avec les personnages dans la ville de Rome, à travers des lieux emblématiques, l’euphorie du personnage d’Ann est communicative et on s’amuse de son décalage de princesse mondaine découvrant la vraie vie et les vrais gens. Si on se doute très vite que des sentiments vont naître entre Joe Bradley et elle, jusqu’au deux tiers du film, Vacances romaines joue surtout sur les mensonges de l’un et de l’autre. Ann comme Bradley prétendent être des personnes qu’ils ne sont pas et sont souvent à deux doigts de se trahir. Il faudra un certain temps au journaliste manipulateur pour finalement se laisser émouvoir par son sujet.
Images de carte postale, trame classique, le film de William Wyler finit par se démarquer, par toucher, en nous montrant qu’il suffit d’un regard, d’un sourire, d’une émotion partagée pour que tout soit bouleversé. Le cinéaste parvient l’air de rien à capter ce moment où tout bascule, où peu importe l’identité, les conventions, les impératifs : l’amour emporte tout sur son passage. Journaliste prêt à tout, déterminé, Joe Bradley baissera bien la garde au bout du compte. Si Audrey Hepburn est touchante en jeune fille retrouvant le plaisir de la légèreté, savourant les joies simples de la vie, Gregory Peck, en homme fort et un brin mufle, finissant par se laisser envahir par des sentiments dignes d’un adolescent, est vraiment à tomber.
La scène finale, où chacun retrouve sa place initiale, où les masques tombent , est un moment de cinéma inoubliable. Le regard bouleversant de Gregory Peck est de ceux qui hantent pour toujours. C’est le regard du grand amour. Moment unique, suspendu, instant de grâce, tellement beau et fort qu’il passe d’une seconde à l’autre du présent au souvenir à la fois magnifique et tragique. Réaliste et inattendu, l’épilogue donne une autre dimension à une œuvre jusque là sans prétention. Ann et Joe seront probablement hantés l’un par l’autre jusqu’à la fin de leurs jours. Vacances romaines a le goût de ces journées inespérées, si belles et si intenses qu’elles valent des années d’amour.
Film sorti en 1954 et disponible en DVD