FICTIONS LGBT

VENT D’OUEST (Westerland) de Tim Staffel : mystère de l’intimité

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Île de Sylt, en mer du Nord, à la frontière entre l’Allemagne et le Danemark. Une île touristique qui s’apparente ici à un vaste désert enneigé. Cem, jeune turc, veille à l’entretien de la ville, dégage les routes enneigées et évacue les déchets. Un boulot pas facile mais qui ne l’accable pas : tout cela n’est que temporaire. Il prend des cours du soir et espère devenir paysagiste.

Son quotidien, rythmé entre ses soirées alcoolisées avec son pote de toujours, Erol, et ses visites à son frère restaurateur et à la compagne de celui-ci, bascule quand il fait la connaissance de Jesus. Jesus est un joli blond un brin mutique, sans attache, sans grand projet (il rêve de devenir acteur mais ne se passionne guère pour l’art). Ils passent plusieurs soirées ensemble et petit à petit Jesus, avec ses bons et ses mauvais côtés, se greffe au quotidien de Cem, le transforme.

Mais les bonheurs simples partagés laissent de plus en plus place à des moments pénibles. Jesus se révèle anorexique, passe son temps à fumer des joints, vole un peu d’argent dès que l’occasion se présente. Conscient qu’il est face à un garçon paumé et autodestructeur, possiblement toxique, Cem ne renonce pas. Il veut le comprendre, l’aider à aller mieux, mais dans son élan se retrouve à se couper lui aussi du monde, au point de ne plus savoir qui il est…

Présenté au Festival de Berlin 2012, Vent d’ouest (Westerland en VO) est l’adaptation du livre Jesus und Mohammed écrit par le réalisateur Tim Staffel. Les premières minutes annoncent la couleur : le film jouera des silences, de la lenteur, pour nous permettre de ressentir toute la solitude, les doutes, des deux personnages principaux. L’île de Sylt, son froid, son vent, imposent une atmosphère étrange, un tantinet déprimante, propice à la perte. Ce qui se trame entre Cem et Jesus se passe de mots, est assez difficile à décrire. Ils se lient l’un à l’autre, partagent des moments simples, se dévoilent. S’accorder avec quelqu’un dans le quotidien, vivre une intimité à deux est toujours quelque chose de mystérieux. Le réalisateur nous montre ce mystère en train de se déployer. Ou comment la simple présence de l’autre à nos côtés suffit à nous faire basculer, à nous mettre dans un drôle d’état.

Cem est à priori un garçon stable, organisé, terre à terre. Jesus est nerveux, angoissé, a tendance à toujours tout faire de travers. Il n’est pas sociable, s’adapte mal aux nouveaux environnements, ne parvient pas à susciter la sympathie chez les proches de Cem. C’est un garçon sauvage et à vif, extrêmement sensible. Sa vulnérabilité touche en plein cœur Cem qui fait tout son possible pour le mettre à l’aise, pour l’aider à aller mieux. Découvrant qu’il se fait fréquemment vomir, il se met ainsi à vomir avec lui pour tenter de lui montrer l’atrocité de la situation. Puis il essaie de le rassurer sur son physique, de l’initier au sport. Il sait qu’il vole des choses à droite à gauche mais ne le blame pas. Quand son frère l’accuse de vol, il prend sa défense. Comprenant que Jesus n’est pas très à l’aise avec ses proches, Cem s’enferme avec lui dans son appartement. Au point de se couper du reste du monde, avec ce que cela comporte d’intimité renforcée et d’égarement personnel. Mais Jesus se révèle être de plus en plus instable psychologiquement parlant, le tire malgré lui vers le bas, s’apparente à une drogue dont il semble impossible de se défaire même si on en percoit les effets négatifs.

Ce film, à la réalisation sobre, parfois poétique, transforme le quotidien en un drôle de rituel. La relation que dépeint Tim Staffel est une passion comme on en voit peu. Pas de sexe, pas de grandes démonstrations. Plutôt un amour mêlé à une amitié fusionnelle, un lien unique et fort mais trop exclusif, trop singulier, fragile, pour résister aux éléments extérieurs. Pouvoir se perdre en l’autre est un cadeau qui peut se transformer en poison. Pour sa délicatesse, son histoire d’amour qui échappe aux standards et pour ses deux comédiens très subtils dans leur jeu, Vent d’ouest mérite le coup d’oeil et ne devrait pas décevoir les amateurs d’un cinéma sensible et contemplatif.

Film sorti en 2012 et disponible sur Outplay VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3