MULTIPOP
VERNON SUBUTEX, la série : paradis perdu
Adaptation de l’oeuvre de Virginie Despentes, la série française Vernon Subutex avait plus d’un atout pour nous attraper dans ses filets. Un super casting (Romain Duris, Céline Sallette, Fischbach), une B.O de folie, un esprit rock’n’roll et une variation profonde sur les illusions perdues. Le résultat n’est peut-être pas parfait mais ne manque pas de charme.
Il fût un temps où Vernon Subutex (Romain Duris) était une sorte de héros. Disquaire, il possédait l’un des magasins de vinyls les plus cool de la place de Paris. Sa passion contagieuse des bons disques en a inspiré plus d’un et en particulier Alex Bleach (Athaya Mokonzi) devenu plus tard une icône du rock. Mais le temps est passé, la crise de l’industrie du disque a eu raison des idéaux. Des années plus tard, Vernon a perdu son magasin et vit en autarcie chez lui. Des mois et des mois qu’il n’a pas payé son loyer. Des agents débarquent chez lui et l’expulse. Il se retrouve à la rue, presque sans rien. Le soir-même, il est invité au concert de son fidèle ami Alex Bleach. Il espère trouver de l’aide auprès de lui. Ils passent la soirée ensemble mais Bleach ne va pas bien : il comptait se libérer d’un lourd secret après son show mais une femme impitoyable, La Hyène (Céline Sallette), l’en a empêché grâce à l’une de ses manigances.
Alex essaie de raconter ce qui le tracasse à Vernon mais ce dernier plane sous l’effet des substances qu’ils ont ingurgité. Quand Subutex revient à lui, il trouve Bleach mort d’une overdose devant lui. Paniqué, il comprend juste que ce dernier s’est filmé toute la nuit avec une caméra DV et lui a laissé des sortes de mémoires. Il prend les cassettes et fuit. A la rue, bouleversé, il tente de survivre en squattant les appartements de vieilles connaissances qu’il côtoyait avec Alex alors qu’ils vivaient sans le savoir un âge d’or. En retrouvant ses anciens camarades, Vernon se prend l’épreuve du temps en pleine poire : les rebelles d’hier se sont pour la majorité assagit. Beaucoup se sont conformés, ont laissé leurs idéaux au placard. Et le tempérament bohème et irresponsable de Vernon qui apparaissait si cool auparavant est aujourd’hui perçu comme immature ou gênant. Sa situation précaire dérange.
Comme si le fait de ne plus avoir de toit fixe ne suffisait pas, l’ancien disquaire finit par se retrouver au coeur d’une véritable traque qui le dépasse. En effet, un producteur de cinéma, Laurent Dopalet (Laurent Lucas), redoute que sur les cassettes enregistrées par Alex Bleach ne figurent des confessions qui pourraient mettre sa réputation en danger. Il charge La Hyène de tout faire pour les récupérer. Cette dernière va croiser dans sa quête Anaïs (Flora Fischbach), une nouvelle arrivante dans la boîte du producteur, encore idéaliste, dont elle va s’amouracher…
Le pilote de la série séduit fortement par sa nostalgie rock, ses personnages certes un poil clichés mais forts et très bien incarnés. Se dessine d’emblée deux trames : d’une part celle, humaine, personnelle et sociale de Vernon Subutex et une autre en mode traque avec La Hyène qui cherche par tous les moyens à mettre la main sur des cassettes potentiellement compromettantes.
Il émane de l’ensemble un parfum de désillusion, de paradis perdu, la douleur d’une jeunesse sauvage ayant cédé aux sirènes du conformisme et de la résignation. On se range, on devient une caricature, on devient cynique sans même s’en rendre compte. Vernon et La Hyène se font écho : lui est encore un ado qui rêve, capable d’avoir des étoiles dans les yeux alors qu’il a tout perdu et elle n’est que froideur, d’une efficacité redoutable. Au coeur d’un certain chaos, les valeurs d’amour et d’amitié pourraient peut-être sauver les âmes en peine.
Si forcément les lecteurs de l’oeuvre de Despentes trouveront beaucoup de choses à redire, force est de constater que cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu une série française aussi dense, avec des thématiques riches, importantes, profondes. Un vrai monstre de scénario que la réalisatrice Cathy Vernet parvient souvent à bien dompter.
Il y a cette romance lesbienne craquante entre Céline Sallette et Flora Fischbach (cette dernière est une vraie révélation), l’irrésistible nostalgie d’une époque rock révolue, la peinture réaliste et très sensible d’un homme qui se dirige petit à petit vers la rue. Et bien que certaines choses agacent (un suspense assez artificiel autour du contenu des cassettes – la chute étant qui plus est prévisible et pas très originale / une deuxième partie qui embrasse par moments trop de clichés), cette fiction ambitieuse creuse, interroge et provoque des émotions fortes. Tout le segment autour de Vernon qui finit SDF et découvre le monde invisible et alternatif des gens de la rue est sacrément bien abordé, confrontant le spectateur à des choses que souvent il ne veut pas observer en profondeur.
Au-delà de ses imperfections, la série rend justice aux marginaux, à ceux qui suivent leurs pulsions et leur coeur quitte à devenir des ratés ou des objets de médisance aux yeux de certains, aux amoureux d’une liberté souvent sacrifiée au profit d’une petite quête de pouvoir ou d’un confort bourgeois. Et rien que pour ça, on a envie de l’aimer.
Série diffusée en 2019 sur Canal + et disponible sur My Canal