CINEMA

VIF-ARGENT de Stéphane Batut : fantôme d’amour

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Premier long-métrage de fiction du réalisateur français Stéphane Batut, Vif-Argent est la belle surprise cinéma de la rentrée 2019, oeuvre diablement romantique et poétique, comme un croisement inattendu et irrésistible entre « Ghost » et le cinéma de Mikhaël Hers (on y retrouve d’ailleurs Judith Chemla, déjà beaucoup aimée dans « Ce sentiment de l’été »).

Juste (Thimotée Robart) se réveille sans savoir vraiment où il est ou ce qui est en train de lui arriver. Il n’a sur lui qu’une carte postale. Il croise le chemin d’Alpha (Djolof Mbengue), un homme qui tient une sorte de friperie. Ce dernier le met en contact avec une femme, le docteur Kramarz (Saadia Bentaïeb). Elle lui demande un souvenir précis de sa vie mais il a du mal à en trouver un. La vérité est que Juste est mort. Il va devenir un passeur, à Paris. Quand une personne meurt dans la capitale, elle apparait face à lui et il doit lui demander un souvenir. Ce souvenir se matérialise alors, le défunt et le passeur s’y plongeant. C’est la dernière étape, la passerelle entre le monde des vivants et celui des morts qui permet de partir dans l’apaisement. 

Son rôle de passeur vaut à Jules de rencontrer de nombreuses personnes mais aussi de pouvoir se matérialiser dans le monde réel. Il peut ainsi être vu des humains et communiquer avec eux. Un après-midi, une jeune femme le suit dans la rue. Elle s’appelle Agathe (Judith Chemla) et elle lui avoue, troublée, qu’il est la copie conforme du premier et du seul garçon qu’elle ait aimé (« sauf qu’il aurait vieilli depuis » souligne-t-elle). Il avait un autre nom mais avait exactement le même visage et la même voix. Ce garçon avait brutalement disparu après leur première fois, sans doute paniqué par l’intensité de leur rencontre, mais lui envoyait par la suite des cartes postales (comme celle que Jules avait au début du film) pour lui faire comprendre qu’elle était toujours dans sa tête et dans son coeur. Et puis un jour les cartes ne sont plus arrivées.

Juste comprend rapidement qu’Agathe est la seule femme qu’il ait aimé et qu’il a donc perdu et laissée sans nouvelles quand il est mort brutalement. Il décide de se rapprocher d’elle sans lui dire la vérité pour ne pas l’effrayer. Mais alors qu’il se met à rêver de pouvoir donner une seconde chance à leur histoire, le voilà menacé : Juste a hérité du privilège d’être visible uniquement pour l’aider à retrouver sa mémoire et un souvenir lui permettant de passer dans le monde des morts. Maintenant qu’il en a un, il devrait s’en aller. Et il n’en a plus du tout envie, surtout qu’abandonner Agathe une deuxième fois serait un véritable crève-coeur…

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Le scénario est original, intemporel, et témoigne d’une magie et d’une fantaisie dont le cinéma d’aujourd’hui manque parfois. Vif-argent a la simplicité et la pureté d’un cinéma d’avant-guerre et  a une foi profondément touchante en la poésie des images. L’action se situe dans un Paris vivant et sublimé, à la fois contemporain et nostalgique, coloré, faisant songer aux films de Mikhaël Hers (un rythme lent qui permet de contempler, respirer; des déambulations, des conversations à coeur ouvert).

Formellement, c’est très beau, avec une petite touche presque impressionniste. La mise en scène hypnotique et onirique de Stéphane Batut bouscule le réel, matérialise de façon personnelle le monde des morts. Cela donne lieu à un voyage des sens et de l’esprit, l’effet d’un doux songe dont on n’a pas envie de s’extraire.

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Vif-argent est de ces oeuvres qui nous amènent ailleurs, hors de la réalité et du temps tout en favorisant l’introspection. C’est cinématographiquement ambitieux, tant dans la mise en scène que dans l’écriture (les dialogues sont notamment très beaux) et en même temps l’ensemble a un côté modeste, intimiste, qui respire la sincérité, très attachant.

Les seconds rôles sont soignés, racontant furtivement par des bribes transcendées de souvenirs plusieurs existences, mais le film ne serait peut-être pas si séduisant voire obsédant sans son magnifique duo d’acteurs en tête d’affiche. Thimotée Robart est une véritable révélation, d’une douceur et d’une sensibilité naturelles qui nous font très vite tomber amoureux de lui. D’autant plus que la caméra le filme de façon sensuelle, charnelle et le mettant en scène dans quelques positions d’un érotisme délicat. Et Judith Chemla est par moments franchement bouleversante en amoureuse abandonnée qui ne peut se résoudre à accepter d’avoir perdu son premier amour.

Aussi bien variation sur le deuil tout court que sur celui si personnel et déchirant de l’amour, Vif-Argent est enfin et surtout une oeuvre infiniment romantique. Jusqu’à son dernier plan, elle fait l’effet d’un poème. Ici c’est un coup de coeur, évidemment.

Film sorti le 28 août 2019

 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3