FICTIONS LGBT
Whatever this is (Adam Goldman, 2013) : portrait d’une génération larguée
Créateur de l’excellente The Outs, l’américain Adam Goldman a sorti en 2013 une nouvelle web série, financée grâce au soutien des fans : Whatever this is. Après avoir raconté avec intelligence, humour et sensibilité le délicat moment suivant une rupture entre deux garçons, celui dont la plume n’en finit pas de nous réjouir s’attaque ici à un problème générationnel. Il y a fort à parier que beaucoup de filles et de garçons âgés entre 20 et 35 ans se retrouveront dans ce show indépendant.
Whatever this is suit le quotidien de Sam (Hunter Canning), un jeune trentenaire qui vit en colocation avec sa petite amie Lisa (Madeline Wise) et son meilleur ami gay Ari (Dylan Marron). Lisa est prof et souffre du fait de ne pas avoir de travail pendant l’été. Sam et Ari travaillent ensemble comme assistants de production pour une petite société spécialisée dans des émissions de télé-réalité. Ce job est une façon pour les deux amis de se faire les dents, de gagner un peu leur vie en attendant de se consacrer pleinement à des projets plus épanouissants. Le problème c’est que cela ne paie pas si bien que ça malgré des horaires à rallonge et autres petites humiliations de la part de leur supérieur. Résultat : les fins de mois sont difficiles, il faut jongler avec plusieurs petits boulots, aux dépens de sa vie sentimentale et de tout le reste. Car à force de tenter de survivre, de se démener pour payer le loyer, ces jeunes gens finissent par ne plus avoir de temps pour rien. Ils sont comme des fantômes errant dans une autre galaxie, assurément absurde, qui les dépasse complètement. Le cynisme et l’humour sont de rigueur, histoire de ne pas pleurer. Bienvenue dans un New York du début des années 2010, tout sauf glamour et idéalisé. Si les personnages ont bien assimilé à quel point il était difficile de gagner leur vie en faisant ce qu’ils voulaient, ils ont davantage de mal à accepter le fait d’être exploités pour des postes peu reluisants. Adam Goldman nous montre une génération qui n’ose presque plus rêver, à force d’être utilisée, rabaissée. Il y a beaucoup de travail mais jamais d’argent, des tas de personnes prêtes à prendre la place de l’autre pour moins cher. C’est peu dire que la série est en phase avec son époque à l’heure de la crise, des stages interminables et du salariat déguisé…
Le sujet aurait pu être plombant mais il bénéficie de l’art du décalage et de la fantaisie subtile de son auteur. Les situations ubuesques se succèdent (Sam et Ari qui se retrouvent mêlés à des concepts de télé-réalité complètement improbables, le job d’été de Lisa qui la propulse en chef personnel d’un couple de lesbiennes alors qu’elle ne sait pas cuisiner…), on rit beaucoup et en même temps on s’attache énormément à ces losers malgré eux qui ne savent plus quoi faire pour sortir du long tunnel dans lequel ils se sont engagés. Les dialogues sont fins et mordants, la mise en scène jolie et intimiste, le rythme assez singulier pour nous plonger dans le drôle d’état qui envahit les différents protagonistes. Au milieu d’un chaos qui ne dit pas son nom, chacun essaie de vivre malgré tout. Mais quand on vit mal le fait d’être dans une situation financière inconfortable, comment parvenir à vivre tout court, à donner une chance à une relation sentimentale, à ne pas se laisser dériver ?
Si l’on retrouve plusieurs acteurs de The Outs au générique ainsi que le ton tout particulier d’Adam Goldman, Whatever this is est très différente, mêlant personnages hétéros, gays et lesbiens, mettant les sentiments en arrière-plan (bien que forcément essentiels) au profit de quêtes personnelles, de tentatives quasi-désespérées de réalisation de soi. C’est à la fois très personnel dans le regard, apte à toucher un public assez large, tragi-comique en diable, émouvant sans jamais forcer le trait, critique vis à vis d’un monde qui tourne à l’envers. Qu’on se le dise : Adam Goldman a un talent fou et on suivra chacun de ses futurs projets avec une curiosité aiguisée…
Série disponible en streaming gratuit et légal ici (en version originale non sous-titrée)