CINEMA

ZERO DARK THIRTY de Kathryn Bigelow : la quête et le chaos

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Maya (Jessica Chastain) rejoint une unité des forces spéciales américaines spécialisée dans la lutte contre le terrorisme. L’objectif, entre autres, est bien entendu de retrouver les terroristes les plus dangereux, Oussama Ben Laden en tête. Une traque sur le long terme, des informations dans tous les sens, un protocole qui parasite, des méthodes parfois violentes… Bien qu’on la désigne comme une « tueuse », Maya a au départ du mal à supporter les interrogatoires des acteurs du terrorisme, capturés par les forces américaines et soumis à la torture pour les inciter à révéler des informations. Puis, elle s’inspire de ses collègues, s’endurcit en même temps que son engagement devient obsession. Elle découvre une possible piste, s’y engouffre, s’entête contre tout le monde. Et petit à petit parvient à convaincre ses collègues et supérieurs décisionnaires qu’elle pourrait bien avoir trouvé la cachette de l’homme qui a incarné pendant tant d’années le cauchemar de l’Amérique…

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Le film s’ouvre sur la tragédie du 11 septembre. Ecran noir, on entend seulement les voix de ceux qui attendent de l’aide et sentent qu’ils sont sur le point de mourir, les appels téléphoniques des gens dans la détresse la plus totale. Une introduction asphyxiante pour un film qui le sera tout autant, de façon assez subtile. Zero Dark Thirty est un film tendu à l’atmosphère mortifère. Nous découvrons aux côtés de Maya le quotidien de ceux qui se démènent pour récupérer des informations, espérant éviter un attentat, que le grand cauchemar ne se reproduise indéfiniment sur le sol américain ou ailleurs. Drôle de monde où tout peut s’arrêter d’une seconde à l’autre sous l’effet d’une bombe. Danger renforcé du côté de ceux qui investissent, s’engagent, prennent des risques en se frottant, négociant, avec des hommes aux motivations floues. L’excitation d’avancer, d’approcher de la fin se mêle à un climat parano alors que les drames et les morts s’accumulent peu à peu.

Le premier tour de force de Kathryn Bigelow est de rendre à la fois passionnantes et limpides les investigations de son héroïne. Beaucoup d’informations, d’hypothèses, la lucidité qui se mêle parfois dangereusement à la folie. On s’attache bizarrement à Maya, sans pouvoir se l’expliquer. Elle n’a pourtant rien de sympathique, on sait peu de choses à son sujet, elle tisse des liens assez minces avec ceux qui l’entourent. Ce qui fascine chez Maya, c’est sa détermination, sa passion. Elle ne vit que pour son travail, sa mission. Au point de devenir un peu hystérique, imbuvable. Au point surtout de devenir un fantôme. Elle s’efface face à sa quête. Pas d’amoureux, pas d’amis, pas de vie. Juste cette traque, qui à la fois la consume et la maintient en vie. Par une force invisible, de petits détails, la réalisatrice parvient à créer une empathie avec cette obstinée. Et chaque avancée, chaque petite victoire est jouissive, soulage.

A l’image d’une héroïne repliée sur sa mission, le film impose progressivement un climat très oppressant. On étouffe. Zero Dark Thirty a ainsi, malgré ses scènes en extérieur, un côté très claustro. On le ressent aussi bien lors d’une scène de torture où le prisonnier n’a aucun moyen de s’échapper que lorsque l’on suit Maya hyper concentrée dans son bureau, seule, ou en voyant la possible résidence de Ben Laden de laquelle il ne pourrait sortir. Chaque espace s’apparente alors à une cage, une prison où une menace peut survenir. Tout n’est plus qu’agression. Une bombe, une force ennemi, un collègue qui nous met un bâton dans les roues…

Les images, assez cliniques, semblent imbibées d’une mélancolie qui ne dit pas son nom. L’envie d’en découdre, d’en finir, est plus forte que tout. Alors que le chapitre final se déploie, que l’objectif pourrait enfin être atteint, on réalise qu’une fois la satisfaction passée, l’accomplissement matérialisé, il ne reste rien d’autre que le silence, le vide. L’extraordinaire, ce qui semblait fou et impossible, s’est réalisé et subitement il n’y a plus rien devant soi. C’est de ce terrible moment de solitude que parle aussi ce film, bien plus sensible et intime qu’il n’y paraît.

On ressort de Zero Dark Thirty avec un étrange sentiment de vide, de chaos. Seule certitude : Bigelow nous a emportés pendant 2h30 dans un spectacle à la fois hyper réaliste, immersif mais aussi écrasant. Autant dire qu’on en ressort pas tranquille, avec plus de questions et de doutes qu’à l’entrée en salles. Vaste, complexe, nuancé et perturbant, ce long-métrage touche aussi bien des points sensibles tout personnels que des questions universelles.

Film sorti en 2013 et disponible en VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3