CINEMA
3 COEURS de Benoît Jacquot : l’amour est un thriller
Marc (Benoît Poelvoorde) vit à Paris et est contrôleur des impôts. En voyage dans une ville de Province pour son travail, il perd son téléphone portable et rate son train. Il ne lui reste plus qu’à rester une nuit de plus. Dans un bistrot, il croise furtivement le regard d’une belle inconnue, Sylvie (Charlotte Gainsbourg). Instantanément attiré, il s’aventure à la suivre et à l’aborder. Elle lui plait, il tente de la séduire, il sent qu’elle est sujet au même épuisement et mal de vivre que lui. Très vite, ils se parlent comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Ayant tous les deux très envie de croire en cette rencontre d’une nuit qui a les allures d’un coup de foudre, ils se donnent rendez-vous quelques jours plus tard à Paris, au Jardin des Tuileries. Mais le jour fatidique, surmené, Marc est victime d’un malaise et n’arrive pas à l’heure, laissant Sylvie seule et désemparée. Elle est d’autant plus blessée que Marc représentait à ses yeux sa seule porte de sortie alors qu’elle traverse une période compliquée de sa vie. En effet, la belle brune légèrement dépressive est en couple avec un homme dont elle ne semble plus amoureuse et qui lui a demandé de le suivre pour vivre à l’étranger.
Le cœur brisé, fragilisée, Sylvie décide de l’accompagner. C’est la première fois qu’elle quitte sa ville natale où elle a toujours vécu et surtout la première fois qu’elle va vivre loin de sa mère (Catherine Deneuve) et de sa sœur Sophie (Chiara Mastroianni) avec laquelle elle entretient un lien très fusionnel. Sophie, elle aussi en couple avec un homme qui ne la fait pas vraiment vibrer, vit très mal cette séparation et se sent complètement perdue. Pendant ce temps, dépité à l’idée d’avoir raté son rendez-vous avec la possible femme de sa vie, Marc décide de partir à sa recherche. C’est ainsi qu’il finit par croiser par hasard Sophie. Ils se plaisent, ils tombent très vite amoureux, elle quitte son compagnon pour se mettre avec lui. Le temps passe et Marc décide de quitter Paris pour s’installer avec elle et la demander en mariage. Le jour de la célébration, il se retrouve face à Sylvie…
Avec 3 cœurs, Benoît Jacquot livre sans doute l’un de ses films les plus surprenants et déroutants. L’intrigue évoque d’abord, dans le fond comme dans la forme, les grands mélodrames du passé. La rencontre amoureuse est complètement sublimée, on est au cœur de la fiction et du fantasme. Les coups de foudre successifs de Marc pour Sylvie et Sophie peuvent paraître improbables, précipités, mais la force de la mise en scène, pleine de lyrisme, et de l’interprétation, magnifique, fait que l’on y croit. Néanmoins, comme le suggère assez rapidement la musique, le mélodrame va progressivement laisser place à un thriller sentimental dont on pressent l’issue tragique. Bande-originale oppressante, bruits de la ville menaçants : les personnages semblent cernés, prisonniers de leurs sentiments et d’un profond mal de vivre.
Il y a quelque chose d’absolument bouleversant dans la façon que le cinéaste filme les relations amoureuses avec l’excitation, la frustration et les interrogations qui vont avec. C’est comme s’il s’agissait à tout moment d’une question de vie ou de mort. Trop souvent, on oublie que l’amour est la chose qui nous fait vivre, qui peut complètement nous changer, en positif comme en négatif. Transporté par la passion, on peut s’envoler ou au contraire s’asphyxier de désespoir. Avec beaucoup de souffle, ce long-métrage audacieux dresse le portrait de trois cœurs blessés. Tout le monde prétend bien se porter alors qu’au fond c’est le désordre total. Marc, contrôleur des impôts charismatique et séducteur, masque un état de santé des plus préoccupants, un passé fait d’excès, d’alcoolisme. Assurance de façade pour homme d’addiction. Sophie, derrière sa douceur, est une femme flipée en permanence, peu sûre d’elle, dépendante des autres. Sylvie est peut-être celle qui cache le moins ses fêlures avec un air souvent triste, désabusé. Elle vit comme un fantôme. Ce triangle et ses composants caractérisés par une souffrance commune va finir par s’embraser.
Le grand sujet du film est sans aucun doute le déni. Comment, par amour, lâcheté, folie ou obsession, on peut décider de se voiler la face. Très vite, Marc a la possibilité de découvrir que Sophie est la sœur de Sylvie. Mais il le découvre officiellement assez tardivement à l’écran. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne s’en doutait pas depuis le départ. Dès qu’une opportunité de faire exploser cette vérité qu’il ne veut pas entendre se présente, la caméra s’éloigne de lui, laissant planer le doute. Car à partir du moment où il ne pourra plus nier qu’il a épousé la sœur de son amour fantasmé perdu, qu’il sera confronté à la réalité, dans sa tête et son cœur tout va exploser. Pour sa part, Sophie, présentée comme une femme constamment préoccupée, se révèle bizarrement très naïve et sereine alors que son époux devient froid et distant. Pas de doute : elle ne veut pas admettre que son mariage est en danger. Sylvie, elle, se révèle prête à trahir sa sœur qu’elle aime plus que tout au monde, en se plongeant dans les bras de son homme fantasme. Elle veut s’oublier sans avoir à penser aux conséquences et quand celles-ci se profilent tout devient insoutenable. Enfin, en arrière-plan, la mère des deux sœurs observe le manège et l’ouragan qui se prépare, sans vouloir s’y confronter frontalement.
Si par moments l’oeuvre peut décontenancer par un excès de lyrisme, il en émane quelque chose de tellement puissant, de fou, qu’elle s’inscrit directement dans les films les plus captivants sur la passion, l’addiction à l’autre et les drames qui s’ensuivent. L’amour est ici à la fois merveille et cauchemar. Le hasard peut transformer de façon perverse le cours des choses : la plus romantique des rencontres peut laisser place à une situation malsaine et absolument étouffante. Porté par un trio d’acteurs très intenses, transcendé par une mise en scène sublime et sensorielle, 3 coeurs regorge de scènes marquantes, de moments émouvants ou dérangeants. Un film aux allures de montagnes russes émotionnelles qui ne laisse pas indifférent. Grand film en devenir ?
Sortie en salles le 17 septembre 2014 et disponible en DVD et VOD