FICTIONS LGBT
Looking saison 2 : l’amour, le rêve, la peur
La saison 1 posait les bases de personnages attachants et d’une belle finesse dans l’écriture. Pour cette deuxième saison, Looking continue sur sa lancée : rien de ce qui se passe ici n’est particulièrement original, on a même déjà vu ce genre de trames des centaines de fois dans des soaps sentimentaux mais il y a un regard. Et quel regard ! Plus que jamais nous partageons le quotidien du personnage, Patrick (Jonathan Groff, excellent), riche en nuances et en paradoxes derrière son air de jeune trentenaire lisse et charmant. Cette peinture du quotidien, cette façon de montrer de façon presque documentaire la mécanique des relations rend la série plus attachante qu’aucune autre. Que l’on se sente proche ou moins proche de Patrick importe finalement peu : Andrew Haigh et son équipe parviennent à nous immerger complètement dans la vie de tous les jours des différents protagonistes. Plus que jamais la lenteur est ici utilisée à bon escient : tout est dans le détail, la précision. Looking est une série intime avec laquelle les fans entretiennent un lien fusionnel (et pas seulement les gays). En filigrane, le show évoque des thématiques, des sentiments aussi larges que la peur de faire le test HIV, les traitements préventifs type Truvada, l’envie d’entreprendre et la panique qui va avec, le désir de reprendre sa vie à zéro, les relations adultérines, le modèle du couple face à la modernité, les universelles quêtes d’amour et de bonheur.
Avant de se focaliser sur ce qu’on a pu aimer dans cette deuxième livraison d’épisodes revenons sur ses imperfections. Looking prend son temps et se laisse vampiriser par son personnage principal. On était déjà frustrés lors de la saison 1 de ne pas voir assez Dom et Agustin et c’est encore pire dans ces nouveaux épisodes (le format 30 minutes n’était clairement pas le bon). Si Agustin s’en tire pas trop mal (son personnage est en mode « je m’ouvre aux autres pour essayer de me retrouver moi-même », plus sympathique, entame une relation craquante avec un bear séropo), Dom se révèle franchement inintéressant par moments (sa relation avec son daddy finit par être expédiée, son objectif d’ouvrir un resto de poulets ressemble à une vaste blague, une perte de temps, jusqu’à ce qu’on réalise qu’elle n’est qu’un prétexte pour aborder sa relation avec sa meilleure amie « fille à PD »…). Si on s’agace souvent quand le générique de fin arrive en se disant qu’on en aurait voulu encore, on réalise souvent après coup que la série génère un drôle d’effet une fois digérée. Elle ne se consomme pas comme les autres, elle laisse une trace, elle habite, sème des petits troubles. Et quand elle touche un point sensible, elle ne le fait pas à moitié. L’excellente interprétation des acteurs et la mise en scène discrète mais puissante rendent l’ordinaire extraordinaire et génèrent des émotions fortes, souvent inattendues.
Looking, c’est donc encore et toujours Patrick, ce gay sympa et lamba, en quête de frissons et de sens. Après avoir fait exploser sa relation avec le (trop ?) doux Richie la saison passée, on le retrouve ici dans la position de l’amant de Kevin (Russel Tovey, hotissime et avec marqué « Gros bâtard » sur sa gueule). L’incertitude qui rythmait sa relation un peu trop banale, posée, avec Richie laisse place à une passion que l’on devine dangereuse. Kevin lui donne le frisson, le fait jouir à fond (nombreuses scènes de lit très réussies, pleines de tendresses et de petits détails), est un objet d’admiration. Il est son patron plein d’assurance, ce mec sexy et déjà casé, une sorte de rêve inaccessible. Les yeux brillent mais la culpabilité est tenace : Patrick finit par ne plus supporter d’être « l’autre garçon », tombe amoureux, ne comprend plus très bien où il en est. Dans le même temps, comme pour se sécuriser face à cette liaison excitante mais dévorante, il essaie de devenir ami avec Richie, son ex dont il découvre peu à peu à quel point il l’a blessé. Ca ne fait pas de doute : l’adorable latino ferait nettement plus son bonheur que Kevin. Il est tellement bon, tellement sensible, tellement gentil… Par moments on sent que Patrick le regrette, qu’il le considère comme un repère, une âme-frère avec qui il peut être totalement lui-même, sans avoir peur. Et ,surtout, Richie n’est plus avec lui et entame une relation sérieuse avec un autre garçon (de quoi le rendre plus attractif). Il est en quelque sorte le fantasme de « la voix de la raison » : il fait du bien mais n’endort-il pas un peu trop ? Patrick n’aura pas le temps de vraiment se pencher sur la question, bien trop emporté par son choix de la passion. On s’attendait à ce que son idylle adultérine avec Kevin tourne au désastre et les scénaristes nous surprennent en transformant la chose en une vraie romance hyper craquante. Et voilà que tout se passe comme dans un monde idéal : Kevin n’est pas le salaud redouté, il se révèle ultra touchant, tombe lui aussi amoureux de Patrick, quitte son compagnon pour lui, se fait très démonstratif, s’engage. Tout va vite, tout est beau, on est sur un nuage… Mais dans un monde idéal Grindr n’existerait sûrement pas. Le dernier épisode sonne un terrible retour à la réalité alors que Patrick se met à douter de celui avec qui il avait fini par emménager. Et les questions houleuses de la fidélité et de la confiance d’être abordées de façon extrêmement réalistes, frontales. Un long passage, déchirant et étouffant à souhait (excellente idée de montrer les deux garçons se perdant dans leur immeuble labyrinthique pour renforcer le sentiment d’enfermement, de réalité sordide qui vient plomber les fantasmes de midinettes).
Les fans de la série se sont rapidement amusés à se prononcer comme étant « pour Richie » ou « pour Kevin ». Tout le talent de Looking tient justement dans les nuances qu’elle apporte à ce triangle sentimental qui n’en est pas vraiment un. Car le problème de Patrick, et toute sa beauté et sa vulnérabilité, c’est qu’il donne tout son sens au titre de cette fiction. Il est constamment « Looking ». Il veut le bogosse très sexe et un tantinet narcissique, les moments de bonheur explosifs mais il ne peut supporter qu’il ne colle pas au fantasme qu’il avait projeté en lui. Kevin est ambivalent, il peut être amoureux et furieusement romantique autant que lâche. Quand il demande à Patrick d’accepter d’hypothétiques futurs écarts de sa part, c’est un moment à la fois cruel (coup de poignard dans le rêve du couple traditionnel) et bouleversant (la sincérité du personnage est réelle et elle a quelque chose de renversant). Pour rêver, Patrick n’a aucun problème mais pour faire confiance, croire, et accepter les concessions, les doutes, c’est une autre affaire. Le goût de l’évidence s’estompe pour laisser place aux points d’interrogations. Et comme à son habitude, Patrick, une fois dans la panique, choisit la facilité, la fuite : il fonce voir Richie (qu’il avait lui-même esquivé pour mieux se jeter dans les bras de Kevin – car il voulait bien le gentil garçon, l’aspect apaisant de leur relation mais où était cette passion à laquelle il aspirait ?). Il tourne en boucle en somme. La série s’achève sur cette éternelle question : Comment arriver à s’aimer aujourd’hui ? (dans tous les sens du terme)
Touchante, universelle, Looking dessine avant tout un personnage en quête perpétuelle, constamment tiraillé entre ce qu’il est, ce qu’il a, ce qu’il n’a pas, ce qu’il voudrait avoir. La complexité des sentiments, leurs inlassables questionnements, les moments de vérité et les hypocrisies, le vertige de l’insatisfaction, cette lutte douloureuse et éternelle qui consiste à tenter de faire la part des choses entre ce que l’on voudrait être, ce qui nous renvoie à soi et ce que peuvent nous apporter les autres. Des questions mille fois posées, des questions qui rythment nos vies à tous à un moment ou à un autre et qui ici sont abordées avec générosité, sensibilité, intelligence. C’est peu dire qu’on regrette que la série s’arrêtera à cette deuxième saison (un épisode géant façon téléfilm viendra conclure l’itinéraire de Patrick avec qui sait peut-être le déclic de cette fois faire un choix net, en en assumant les possibles conséquences, en s’engageant, en ayant pas peur de se tromper car dans le fond n’est-ce pas ça l’important : que ça se finisse bien ou mal, être en accord avec soi-même, arrêter de regarder ailleurs, faire le pari d’y aller – ne pas être « Looking » mais « Living » ?)
Série diffusée sur HBO aux Etats-Unis et OCS en France / Prochainement en DVD