FICTIONS LGBT
« Fiertés » : des combats et des émotions
Quelle chouette année sur Arte en 2018 : après l’attachante « J’ai 2 amours », voici une nouvelle série à thématique gay, « Fiertés ». Réalisée par l’excellent Philippe Faucon et disposant d’un casting génial (on y retrouve Samuel Theis, Nicolas Cazalé, Jérémie Elkaïm, Frédéric Pierrot, Emmanuelle Bercot, Lou Roy Lecollinet, Sophie Quinton, Chiara Mastroianni, Marilyne Canto…), on le dit d’office : c’est une des plus belles choses qu’on ait vu cette année !
L’histoire commence en 1981, alors que la société française est en passe d’élire François Mitterrand comme Président. Charles (Frédéric Pierrot) est le responsable d’un chantier sur lequel il fait travailler pendant les vacances son fils unique, Victor (Benjamin Voisin). Ce dernier est à priori un adolescent ordinaire qui rêve de devenir architecte. Il a une petite amie appréciée de ses parents, Aurélie (Lou Roy Lecollinet), avec qui il a des rapports sexuels un peu trop mécaniques… Un jour, sur le chantier, le père de Victor l’aperçoit en train d’embrasser Sélim (Sami Outalbali), le fils d’un de ses collègues. Les choses dégénèrent… A une époque où l’homosexualité n’était pas encore dépénalisée et perçue par beaucoup comme une maladie, le père ne peut se résoudre à croire que son fils soit homo. Pour lui, il a été « entraîné » par Sélim… Il fait en sorte de séparer les deux garçons.
Mais Victor comprend à l’intérieur de lui que ce n’est pas une passade mais bien qui il est vraiment. Il commence en cachette une nouvelle relation avec un homme plus âgé, Serge (Stanislas Nordey). Ce dernier va l’épauler, l’attendre jusqu’à sa majorité (il a 17 ans au moment de leur rencontre) et lui permettre de prendre son envol et poursuivre ses études quand son père menacera de le flanquer à la porte.
Nous suivons ensuite l’évolution de Victor, devenu adulte en 1999. Il a échappé à l’épidémie du Sida. Il est toujours avec Serge (qui lui a été contaminé mais continue à vivre grâce à la trithérapie même si les effets secondaires sont difficiles à supporter). Devenu architecte, Victor recroise par hasard sur un chantier Sélim (Nicolas Cazalé) qui a pris un tout autre chemin que lui… Dans la rue, la communauté LGBT milite pour le PACS. Victor rêve aussi de son côté d’ adopter un enfant mais la procédure est plus que complexe pour une personne gay…
La mini-série en trois épisodes se clôture en 2013 alors que le mariage ouvert aux personnes du même sexe suscite une nouvelle vague d’homophobie. Victor est devenu papa et son fils, Diego (Julien Lopez), doit composer avec les paroles hostiles de certains camarades et leurs parents qui n’acceptent pas d’où il vient…
En seulement trois épisodes, Philippe Faucon aborde énormément de thématiques aussi bien politiques et historiques (la dépénalisation de l’homosexualité, le Sida, le PACS, le mariage, les familles homoparentales) que personnelles. Magnifiquement incarné par Benjamin Voisin (touchante révélation) et Samuel Theis, le personnage principal traverse une multitude de combats, toujours épaulé par l’homme de sa vie, Serge (Stanislas Nordey lui aussi formidable). Un amour d’adolescent tué dans l’oeuf et entêtant avec Sélim, la relation avec un homme plus âgé bienveillant et militant avec Serge, la belle amitié avec la copine de façade qui traverse les âges avec Aurélie, la relation tumultueuse au Père… Au-delà des thématiques gays, la série touche à quelque chose de très universel en parlant du temps qui passe, des luttes qui sont perpétuelles et évoluent, de la filiation et en particulier du rôle de père…
Ce que Philippe Faucon nous rappelle ici, c’est la lutte intime de plusieurs générations qui malgré la discrimination, l’ignorance et la violence a avancé, gagnant petit à petit ses droits. Ce qui fait de l’ensemble une grande réussite très émouvante c’est l’écriture, sensible, fine, sans jugement. Les personnages sont tous, même les plus secondaires, extrêmement réussis et abordés sans clichés.
Avec brio, Philippe Faucon aborde enfin l’homophobie en en montrant un visage réfléchi et nuancé (le père de Victor, aimant et très dur à la fois, bon et mauvais, humain tout simplement / le petit frère de la jeune Noémie qui est imbibé des discours homophobes de ses parents ignorants – on ne lui trouve pas d’excuses mais on l’explique…).
Cette fresque faite d’amours (une vision du couple assez moderne et pas toc par ailleurs, sans hypocrisie et avec énormément de tendresse) et de combats est d’une rare humanité et touche en plein coeur. A voir absolument.
Disponible jusqu’au 16 mai 2018 en replay sur Arte puis disponible en DVD et VOD