FICTIONS LGBT
LE PASSAGER de Tor Iben : un serial killer bi et romantique
Nick (Niklas Peters) est un jeune homme bisexuel très séduisant mais dérangé. C’est plus fort que lui : quand il désire quelqu’un ou quand il tombe amoureux, il ne peut retenir ses pulsions destructrices le poussant à amener au septième ciel l’objet de son attention avant de lui ôter la vie. Après avoir fait une énième victime, le beau blond va passer quelques temps à Berlin. Il se fait passer pour un garçon de bonne famille un peu oisif, venu repérer des appartements en vue d’un potentiel achat. A la fois sociable et mystérieux, ce serial killer romantique ne met pas beaucoup de temps avant de se faire de nouveaux amis dans la capitale : il trouve une colocation avec un photographe hétéro mais pas insensible à sa beauté, Philip, et commence une liaison avec Lilli, la meilleure amie de ce dernier. Le temps d’un été, les trois jeunes gens deviennent inséparables. Mais si pendant un temps Nick parvient à contrôler ses pulsions, elles finissent par le submerger à nouveau. En se laissant séduire par ce bel inconnu, Philip et Lilli risquent sans le savoir leur propre vie…
Nouveau long-métrage de Tor Iben, réalisateur de Cibrâil, Le Passager (The Passenger en VO) en reprend quelques éléments. Outre un petit clin d’oeil au précédent métrage au détour d’une conversation, on retrouve ici un vrai désir de filmer Berlin sous ses différents visages (des balades à vélo les jours de grand soleil, l’énergie et la poésie discrète d’une ville moderne, les parcs où les garçons se draguent ouvertement avant de faire des cochonneries au milieu des arbres…). Autre figure récurrente : celle de l’hétéro flexible. Nick, bisexuel, se retrouve face à un photographe se disant hétéro mais au comportement de plus en plus tendancieux. Ce dernier passe ses journées à photographier des beaux mecs, est troublé dès que son coloc le regarde droit dans les yeux… Mais si dans Cibrâil ,malgré quelques moments difficiles, le héros sensible finissait par trouver l’apaisement par l’amour, ici c’est l’inverse qui se produit. Car pour Nick, l’amour et le désir vont de pair avec des pulsions meurtrières qu’il peine à contrôler.
L’introduction nous présente le personnage principal, un pur anti-héros sur le papier, cherchant à rationaliser, donner une portée poétique, à ses crimes. La petite mort et la mort tout court, l’amour jusqu’au dernier souffle : des thèmes qui ont toujours alimenté l’art et que l’on retrouve aussi ici par le biais de répétitions d’une pièce de théâtre (des passages de comédie par ailleurs très réussis). Le personnage de Lilli, meilleure amie de Philip et nouvel objet d’affection de Nick, est comédienne. Elle ne comprend pas les intentions de son metteur en scène pour qui l’amour est une source de dépendance et de sacrifice. Une vision sombre qui ne lui convient pas. Son incapacité à vouloir admettre l’obscurité propre à chacun l’amènera à se méprendre au sujet des hommes qui l’entourent. On notera enfin en ouverture de métrage une citation de Ken Wilber (« Seul l’homme tue en étant guidé par la haine, les animaux, eux, tuent par amour »). Une façon de nous dire que Nick est un être primitif et que même si ce qu’il fait est terrible, ses intentions sont curieusement, au moins dans sa tête à lui, nobles.
Si une fois encore le réalisateur a dû composer avec un budget serré, cela ne se ressent pas trop à l’écran : c’est bien réalisé, avec une jolie photographie. Certes, il y a des défauts et des maladresses (une musique un peu cheap et trop insistante, quelques passages un peu expéditifs ou clichés) mais l’atmosphère particulière qui se déploie nous emporte. On oscille entre romance, comédie et thriller, entre légèreté, désir et gravité.
Durant à peine plus d’une heure, le film ne connaît aucun temps mort et captive de bout en bout. Le charme explosif de l’acteur principal, Niklas Peters n’y est pas pour rien. Il est absolument magnétique et la caméra de Tor Iben ne cesse de le sublimer, rendant sa beauté aussi tentante que vénéneuse. Il est le fruit défendu que les filles et les garçons ne peuvent s’empêcher d’avoir envie de croquer. Comme Philip et Lilli, on tombe sous son charme, et ce même si l’on sait à quel point il est dangereux. Le Passager réussit là son pari : donner à comprendre le très étrange fonctionnement d’un tueur romantique et le rendre attachant, susciter l’empathie malgré des actes sauvages.
Les scènes sensuelles et bien exécutées se succèdent en même temps que se dessine le portrait d’un beau vampire moderne condamné à n’être qu’un passager, allant de ville en ville, tant qu’il le peut, à la recherche de nouveaux amours / victimes. Sexy, sensible, disposant de scènes d’intimité et de meurtres filmées avec le même érotisme ravageur, Le passager ne manque pas de nous ensorceler.
Film produit en 2013