CINEMA
HIGH LIFE de Claire Denis : Robert Pattinson au coeur du chaos
Quand le cinéma pointu de la réalisatrice française Claire Denis croise Robert Pattinson, forcément cela pique la curiosité. Mais ne pas s’attendre à un film à l’américaine du tout : la cinéaste renoue en effet ici avec ses oeuvres les plus radicales, proposant une fiction à la lisière de l’expérimental. Autrement dit, si vous n’aimez pas les films contemplatifs, abstraits et un peu chelous : passez votre tour. Ici, ça n’est pas nouveau, on adore et on a trouvé cet High Life assez fascinant.
Le début du métrage nous plonge d’emblée dans l’incertitude la plus totale. Nous sommes au coeur d’un étrange vaisseau spatial où Monte (Robert Pattinson) est seul avec un enfant qu’on devine être le sien. Les premières minutes sont longues et nous égarent complètement. On ne sait plus où on est, on ne sait pas à quoi s’attendre. Et puis on revient en arrière, là où le destin du personnage de Monte a basculé.
Ce garçon doux, taiseux et sensuel se révèle être un criminel ayant accepté de commuer sa peine en jouant les cobayes pour une mission spatiale. En gros, plutôt que de placer les pires criminels dans le couloir de la mort, on les envoie dans l’espace pour des sortes de mission suicide. Sym-pa. Monte n’est pas seul et « High Life » prend alors les atours d’un huis clos asphyxiant et sombre qui sonde le Bien et le Mal, l’humanité et l’animalité de chacun.
Tous les criminels sont encadrés par Dibs (Juliette Binoche), une sorte de scientifique pour le moins barrée qui tient à récolter quotidiennement le sperme de tous les hommes pour tenter d’inséminer les filles du vaisseau. Une façon de donner lieu à la vie et de faire face à un traumatisme de mort infantile enfoui.
C’est clairement très perché et très spécial mais ceux qui ont aimé les films « dark » de Claire Denis (« Trouble Every Day » ou « Les Salauds » par exemple) risquent fortement de se laisser séduire par cette proposition de cinéma qui a le mérite de sortir des sentiers battus et de nous embarquer au coeur d’un hypnotique enfer. Par petites touches, l’oeuvre bouscule, se joue de nos pulsions et de nos peurs. Comme lors d’une scène très perturbante et réussie dans une machine à sexe.
Avec ses longs cheveux et son ambivalence, Juliette Binoche marque les esprits dans ce rôle de « sorcière ». Elle représente toute la dualité du film et de ses protagonistes, à la fois humains et possiblement répugnants et par extension le reflet déformant d’une société en voie d’extinction.
Si le sous-texte social voire politique est là, « High Life » emporte surtout par sa mélancolie, par cette façon de nous faire partager la solitude et l’inquiétude toute rentrée du personnage de Monte, incarné par un Robert Pattinson filmé de façon plus sensuelle que jamais.
A réserver aux cinéphiles aventureux certes mais pas de doute : c’est un vrai film d’art et essai qui porte bien son titre et essaie vraiment des choses.
Film sorti le 7 novembre 2018