COURTS
« X comme Amour » : Claudius Pan signe son plus beau film, au coeur de la nature
C’est un beau film dont les couleurs nous caressent. Et comme son titre l’indique, X comme Amour met le sentiment amoureux à l’honneur. Claudius Pan livre avec ce court-métrage son oeuvre la plus accessible et universelle tout en restant dans la continuité de son cinéma libre, queer et féru d’expérimentations.
Été 2018. Nous suivons Xavier (Xavier Prieur) qui revient au coeur de la campagne où il a grandi. Il y revient pour faire ses adieux à cet endroit qui l’a construit et qu’il a dû un jour abandonner. Mais outre le beauté de la nature et des champs de blé, ce qui l’obsède c’est l’ami qu’il y a laissé : Antoine (Antoine Heraly). Il était « son seul ami », son premier amour, son amant. Ils avaient leurs passions, leurs jeux et rituels. Un monde à eux, échappant à tout le reste. Il ne semble en rester que des fantômes et assurément des regrets même si la soif de vivre est toujours là.
Souvenir de l’été 2003. L’apogée de leur relation, sans doute ce moment où Xavier a écrit l’initiale de son amour sur un arbre. Et aussi le moment où tout pouvait s’arrêter.
Un face à face se dessine, de façon poétique et volontairement déstructurée (comme des bribes) entre les deux garçons. Comme une partie de cache cache sensuelle où l’amertume et le manque s’opposent au désir et la figure de l’autre comme un absolu. Le besoin de se dire adieu et en même temps d’être ensemble une dernière fois.
Jusqu’à un final qui réserve une sorte de twist apte à mouiller les yeux, « X comme Amour » est chargé en mélancolie. On a tous un jour laissé quelque chose, quelqu’un, quelque part. Le film parle de ça, de ces souvenirs, d’un abandon déchirant, de la perte de l’enfance. Libre et indomptable, Antoine hantera à jamais Xavier.
On ressort un peu chamboulé de cette oeuvre douce et dure à la fois, qui laisse indéniablement de par son étrange musique, les regards de ses comédiens et sa poésie toute en rituels, une trace singulière.
« X comme Amour » sera présenté dans la Sélection Courts Gays 4 du Festival Chéries Chéris 2018. Le dimanche 25 novembre à 21h35 (déjà complet) et le mardi 27 novembre à 22h10 au MK2 Beaubourg.
INTERVIEW AVEC CLAUDIUS PAN
Coup de coeur oblige, on a fait une interview de Claudius Pan qui nous en dit plus sur ce beau projet.
Qui est Malcom à qui tu dédies le film ?
Malcolm était mon voisin, mon ami d’enfance, mon meilleur ami, mon premier amour caché, mes premiers émois. Il était tout cela quand il est décédé quand j’avais 19 ans.
Comment as-tu eu l’idée de ce nouveau court-métrage ?
Il n’y a que très récemment que je me suis autorisé à aimer un garçon de mon âge. Avant cela je restais avec des hommes plus âgés que moi, qui me soutenaient, et comme toutes choses que l’ont soutient, et bien je partais prendre mon envol ensuite. Je n’avais pas encore eu le courage de m’abandonner à un garçon de mon âge, à une relation égale, pas après la disparition de Malcolm.
Après son départ, je suis devenu vagabond pendant pratiquement 5-6 ans, à travers le monde. C’est en revenant que je me suis pris sa disparition en pleine gueule. J’ai réalisé que je n’avais pas du tout encaissé, pas pris le temps de ressentir, d’accepter, pour pouvoir avancer sainement. Et cette année je m’efforce de briser d’anciens schémas et il m’a semblé naturel de panser cette part de moi. Et comme toute chose, c’est à travers l’art que je dialogue avec moi-même et le monde. Je ne fais pas vraiment de distinction entre qui je suis et ce que je crée.
Je désirais aussi réaliser un film qui aurait pour personnage principal la nature. Et, à mes yeux, la nature est le berceau de l’amour.
Peux-tu revenir sur le tournage du film ?
J’ai filmé avec une Sony A7R II. Je n’avais aucun moyen et on a tout mis en boîte en 3-4 jours. Il n’y avait que nous trois, les acteurs et moi-même. On tournait la journée, je montais la nuit et commençais à réfléchir à la musique dans mon court sommeil. Une fois le tout monté, j’ai composé la musique en une après midi.
On pourrait croire que je bâcle ou que je suis pressé, mais ce n’est pas ça. Quand je crée ainsi, je suis dans un nirvana, un tunnel de l’extase. Je ne dors plus, je ne pense qu’à ça. Tout m’apparaît fluide. Du moment où je pose mon stylo sur une feuille vierge pour écrire le scénario, à la dernière note de musique, je suis dans une sorte d’apnée quasi mystique.
Comment Antoine Heraly et Xavier Prieur, tes deux acteurs, se sont-ils retrouvés sur le projet ?
Antoine et Xavier sont de grands amis. Je reconnais leur sensibilité et cette confiance qui règne entre eux deux, il y a quelque chose de très apaisé, respectueux et bienveillant. Et je voulais capter cette chose entre eux deux depuis un certains temps.
On devait partir tous les 3, dans mon ancienne maison de vacances, dans la Drôme. Et comme toute chose avec moi, ces vacances sont rapidement devenues une excuse pour réaliser un nouveau film !
Les deux étaient partants et c’est comme ça que tout a commencé. On est parti en vacances et de retour à Paris on avait un film !
On retrouve dans ce film des sujets et motifs déjà abordés dans tes précédents courts-métrages : l’enfance en opposition à une sexualité à la fois tendre et primitive, le paradis perdu, la vie en opposition à la mort, la nature en opposition à la ville… Ce sont des choses qui te sont chères ? Si tu devais spontanément parler des « obsessions » qui hantent ton cinéma, qu’en dirais-tu ?
C’est marrant que tu parles d’oppositions, car c’est une chose contre laquelle j’ai toujours luté ! Je n’aime pas les visions binaires, que ce soit dans le genre ou via un certain manichéisme. J’essaie toujours de créer des zones troubles, aussi bien dans ma vie que dans mes oeuvres.
Dans mes précédents films, qui se passent à Paris, l’appel de la nature est toujours là. Que ce soit par les personnages dont il émane quelque chose de sauvage et de marginal ( pour moi la marge est propre à la nature, c’est la ville et ses codes qui nous normalisent), ou bien des plantes qui essaient de se frayer un passage dans une fissure de béton.
J’essaie de tout fluidifier, de montrer une sexualité parfois crue mais également une naïveté propre à l’enfance. Et la vie ne peut être poésie sans la mort, et je pense que je raconte des poèmes à travers mes films, il y a toujours une grande part d’onirisme. L’onirisme est un peu la cuillère avec laquelle je touille la marmite de la vie pour essayer de mélanger toutes ces choses qu’on oppose parfois entre elles.
Je n’ai pas d’obsessions qui me hantent car mon travail est un travail instinctif, c’est une fois que le montage est terminé que je vais l’intellectualiser et voir ce que mon inconscient me raconte. Je ne pense jamais à ce que je raconte mais à ce que je veux créer comme émotion, j’essaie, du mieux que je le peux, de traduire mes sentiments, ça passe par des dialogues, des images, de la musique, des mouvements de caméra.
Me laisser traverser par l’écriture, le tournage, le montage et la musique me permet de m’assurer que tout est fluide, quasi hypnotique.
Pour toi que représente la carcasse que trouve Xavier dans le lac ?
Pour moi elle représente un signe de Malcolm, du monde des morts pendant le tournage ! Antoine et Xavier ont trouvé ce crâne alors qu’ils se baladaient, et il m’a semblé évident de l’utiliser. C’était une lettre envoyée de l’au-delà, un mort qui grattait à ma porte pour obtenir un rôle !
Plus sérieusement, je le vois comme un geste de Xavier à Antoine, pour lui communiquer son acceptation face au deuil. L’eau est le pont entre les vivants et les morts, et je trouvais ça beau que le vivant se trouve dans le royaume des morts et en retire une relique.
C’est ce geste, qui n’est rien d’autre qu’une acceptation de la perte de l’autre qui pousse à l’Eros, à la scène qui suit, mais je ne vais pas en dévoiler plus… Pour moi le Thanatos pousse à l’Eros, c’est notre propre mort qui pousse au charnel.
C’est un film qui cache des choses très sombres et douloureuses mais qui est visuellement étonnamment coloré…
Je pense être quelqu’un de très lumineux, c’est ce qu’on voit de moi en premier, mais il y a une immense mélancolie et noirceur en moi. C’est pareil pour ce que je crée. Le tout est baigné d’une certaine lumière, d’une joie, mais pourtant le squelette est obscur.
Je n’aime pas quand les gens me disent « i send you light ». Je sais de quoi j’ai besoin, et l’obscurité est une chose si importante, mais actuellement on semble toujours vouloir la repousser de nos vies. On n’accepte mal nos moments down, nos peurs, nos doutes, nos spleen. Mais la lumière est tellement irradiante après les passages dans nos catacombes intimes.
Alors encore une fois, le film est visuellement lumineux, il se passe en plein été, dans un endroit magnifique. Il y a des champs de blés mordoré, un ciel bleu, de la verdure, mais pourtant il y a une séparation, un deuil.
On en revient à cette fluidité. Plonger le spectateur dans un univers sombre et l’infuser de sentiments de tristesse, et on finit par ne plus rien y voir, car la vie ce n’est pas ça. Alors oui, c’est un poème sur le deuil, mais il est déclamé dans un bel été irradiant.
Comment décrirais-tu ton rapport à la nature et en opposition ton rapport à la ville, toi qui maintenant vit à Paris ? Te retrouves-tu dans le personnage de Xavier ?
J’ai un rapport extrême à la nature, c’est elle qui me fait tenir, ses ronces retiennent ma sauvagerie, et c’est en véritable loup sauvage que je me perçois dans Paris. Je serai toujours ce gamin qui rentre à la maison quand la nuit tombe, le jean troué et couvert de terre, un peu de sang qui coule de mon nez. La nature est le berceau de mon amour pour cette vie et c’est en elle que je crée.
J’ai vécu durant plusieurs années dans une communauté autosuffisante et c’est le seul endroit sur Terre que j’appelle « maison », j’y retourne dés que je peux. J’ai juste l’impression de me recharger, de reprendre un bol d’air puis de repartir en apnée lorsque je reviens à Paris.
Mais je sais pourquoi je suis là, je sais ce que je veux dire et montrer. C’est ma mission, c’est le rôle que je me suis donné pour accepter mon existence.
Paris, je la vois comme une terre de conte. On y trouve des vampires, des rois déchus… C’est une ville de conteurs, on se raconte tous notre histoire. Mais j’ai un rapport étrange avec elle, car j’ai aussi conscience que ce n’est qu’illusoire. Le monde tel qu’on le connaît est en train de s’effondrer. Dans quelques années ce n’est pas à Paris qu’il faudra être, mais dans des collectifs, dans la nature. C’est pour cela qu’il est important que la nature soit toujours présente dans mes films, car c’est elle qui peut nous sauver, c’est elle qui nous tuera et c’est aussi elle qui nous survivra.
Les gens sacrifient au nom d’un Dieu invisible alors que la nature, bien visible, est ce Dieu, et qu’on la tue.
La musique a aussi une part importante dans ton film. Peux-tu nous en parler ?
J’imagine un film comme un corps. Et la musique est le sang de ce corps, il irrigue le tout, il fluidifie. C’est pour cela qu’il est important pour moi de la composer moi-même, c’est le dernier ingrédient. La musique est un des personnages principaux. Je pense tous mes films en lien avec la musique qu’ils vont inviter en eux.
Ce film parlant beaucoup de l’enfance, je voulais que la musique soit bercée par des sonorités des films de mon enfance, avec un soupçon de ténèbres. Je l’ai composée de façon instinctive. Je lance le montage final et j’improvise, habité par toutes mes émotions. Lorsque je compose, je sors directement du tournage et du montage, je me sers de cette fatigue pour rentrer en transe et créer ce sang qui va faire marcher ce corps fait de multitudes.
Pour finir quels sont tes projets à venir ?
Je travaille sur mon premier long-métrage. J’espère avoir des aides pour celui-là. Je sais créer seul avec rien, mais je sais aussi de quoi je serais capable avec une grande équipe et un budget.
Ce film parlera justement de Paris, de son rapport à la nature, de cette fin qui approche mais aussi de personnages Queer qui se sont créés de toutes pièces, façonnant leurs corps et esprits avec leur volonté, faisant d’eux des êtres chimériques. Je veux marier la poésie au politique avec ce film. Je ne me retrouve pas dans la politique, mais je sais que toute oeuvre l’est. Je veux faire ce film avec cette conscience que je chante ma façon d’être politique, haut et fort, via le poème.