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5 Guys Chillin par Christophe Garro : du théâtre gay qui envoie du lourd !
Créée par Peter Darney à Londres en 2015, la pièce de théâtre 5 Guys Chillin fait grand bruit à Paris depuis le début de l’année. Adaptée par le français Christophe Garro, elle traite sans pudeur d’un sujet tristement d’actualité : le chemsex dans le milieu gay.
Pour ceux qui ne seraient pas sensibilisés au sujet ou qui auraient raté le documentaire Chemsex, le chemsex comme son titre l’indique consiste à prendre des drogues pendant les rapports sexuels. Et clairement depuis quelques années c’est un véritable phénomène. Notamment dans les grandes villes, il suffit de se connecter à Grindr pour voir fleurir des profils « Plan Chems ». C’était encore quelque chose de rare il n’y a pas si longtemps mais la chose prend de plus en plus d’ampleur.
En même temps que la Prep se démocratise et permet à des garçons qui ont une sexualité riche et potentiellement à risque de s’éviter de s’exposer au VIH (mais pas aux autres IST, rappelons-le), c’est comme si le chemsex prenait le relai d’une curieuse manie que certains gays peuvent avoir de se mettre en danger. Comme le fait de baiser « bareback » pouvait être une façon de flirter avec le danger, l’interdit, la mort, le chemsex est désormais LE truc primitif, la tentation irrésistible pour s’autodétruire. On fait majoritairement des plans chemsex lors de partouzes. Les produits permettent d’être désinhibé et de se laisser aller dans des orgies folles qui peuvent durer parfois plusieurs jours.
On entre dans cette pièce comme on entrerait dans l’appart d’un mec nous ayant invité à une partouze en mode perché. En effet, dès l’entrée dans la salle, il y a la musique électro et deux mecs qui sont en train d’inviter d’autres mâles à les rejoindre. On se montre les photos sur le téléphone, on prépare les lignes sur la table au milieu d’autres substances… C’est hyper immersif et petit à petit les mecs font leur entrée en scène, se changent pour adopter un look « cul » et / ou fetish. Ils se retrouvent à 5, ils sortent les jouets et commencent à se chauffer.
5 Guys Chillin nous propulse en plein coeur de ce genre de plan cul avec une crudité comme on en voit assez peu au théâtre. C’est cru visuellement (il y a des scènes de sexe simulées mais assez frontales qui explorent largement ce qui peut se faire lors de ces orgies où les tabous sautent – préliminaires, sodo dans tous les sens, fist, léchage de skets, attrait du jus…) mais aussi et surtout dans les mots. Les comédiens incarnent des garçons perchés, speed, qui parlent très vite et sans filet avec une vulgarité assumée. Zéro filtre.
Dans la vraie vie ça ne parlerait sans doute pas autant au milieu des galipettes mais c’est ce qui fait l’intérêt de la pièce : dessiner à travers des anecdotes trash ou sensibles les portraits de ces garçons qui s’oublient dans la drogue, qui espèrent se libérer par leur addiction au produit et au sexe mais qui finissent par réaliser qu’ils sont prisonniers.
Les comédiens sont tous sexy, « fit for fuck » comme on dit, mais ont des personnalités assez différentes, rappelant qu’il n’y a pas un profil type pour tomber dans cette spirale décadente. La pièce parvient tout d’abord à matérialiser l’excitation, l’attrait, le côté cool du sexe sous drogue (car oui ça a l’air cool, super bandant et libérateur sinon il n’y aurait pas autant de mecs qui tomberaient dedans). On ressent le côté grisant, l’effet de groupe, le plaisir de partager un truc en se pensant au-dessus du monde, de la morale, des codes. Jouissance nihiliste.
Et puis petit à petit en même temps que tout le monde s’excite, rit ou se raconte, s’esquisse le Mal. Quand on prend de la drogue , on kiffe, on se sent prêt à tout, on repousse les barrières, on connait une extase sexuelle. Mais il faut passer à la caisse après. Et la note est salée. Tout va vite et sans même s’en rendre compte on devient un peu parano, on n’arrive plus à aller voir un film car on est plus apte à se concentrer, on fait n’importe quoi au boulot, on ne sait plus vraiment à quoi ressemble une relation « sérieuse », on finit par ne même plus jouir. Ces produits qui avaient l’air si cool rendent dépendants et bouffent de plus en plus le quotidien, enferment, enchaînent. Et on se prend sa solitude puissance 1000 en pleine poire.
Le sentiment d’extase, de plénitude, de libération est artificiel. Les liens qui se tissent le sont aussi. Et quand ça retombe c’est pas joli du tout. Un garçon finit par s’écrouler et faire un bad, un autre réalise subitement que finalement il préfère sa soirée DVD peinard au lit avec son chéri que tous ces délires débridés mais ils n’arrivent plus à se sortir de tout ça… Au final, au-delà des pulsions, ces garçons qui s’agitent devant nous ont besoin d’aimer, de tendresse. Ils ont peur. Ils sont dépassés.
Si ce qui se déploie sous nos yeux peut paraître anodin ou superficiel, il y a en filigrane des récits touchants et profonds de garçons perdus qui font mouche. C’est une pièce qui destabilise, choque, fait rire de bon coeur ou jaune, très réaliste. Elle donne à réfléchir sans condamner, elle nuance, elle nous confronte aux hauts et aux terribles bas. Mais surtout elle regarde son sujet droit dans les yeux quitte à bousculer. Tout est extrêmement vrai et l’écriture sent complètement le vécu.
Jusqu’à la fin (avec un parti-pris de mise en scène aussi audacieux que son ouverture), on est avec les personnages, avec ces comédiens criants de vérité qui donnent tout et s’effacent complètement dans leur rôle. Vincent Vilain, François Guliana-Graffe, Lionel Rousselot, Charlie Dumortier, Jonathan Louis : ils méritent tous d’être cités car ce qu’ils donnent ici c’est super fort. C’est quelque chose de brut, de dur, d’extrême et c’est couillu ! Pour sûr, ça vous changera du théâtre plan-plan de mamie grassement subventionné. Bref c’est à voir, ça donne à réfléchir, ça sensibilise sur un sujet bien plus grave et vaste qu’on ne le pense. Coup de coeur.
Pièce présentée à Paris au Théâtre Clavel // Plus d’infos sur Billetreduc