FICTIONS LGBT
MA VIE AVEC JOHN F. DONOVAN de Xavier Dolan : destins croisés
C’est un film qui a mis du temps à sortir en salles et qui a donné du fil à retordre à son auteur. Ma vie avec John F. Donovan est enfin là et les fans de Xavier Dolan ne devraient pas être déçus du résultat. Il livre en effet ici une de ses oeuvres les plus ambitieuses, regroupant à la fois ses thématiques phares de son cinéma et en explorant d’autres avec une belle profondeur.
Le film commence alors qu’on devine que l’acteur John F. Donovan (Kit Harrington) est retrouvé mort dans son appartement. Loin d’Hollywood, un petit garçon aspirant comédien, Rupert Turner (Jacob Tremblay), découvre la nouvelle de sa disparition via un écran de télévision. Un choc. Car pendant de longues années le garçon, fan assidu de celui qui était alors perçu comme un espoir du cinéma, a entretenu avec ce dernier une improbable correspondance.
Tout a commencé par une simple lettre postée par Rupert sans trop d’espoir d’avoir un retour. Mais John F. Donovan lui a répondu. Sans raison apparente, il a commencé à se confier à ce petit garçon, devenant une sorte d’ami invisible, imaginaire. Les deux ont pour point commun de se sentir extrêmement seul.
John est beau, joue dans une série télévisée à succès, est sur le point de se voir offrir un rôle de super héros qui ferait définitivement décoller sa carrière. Mais il est rongé par l’artificialité qui régit sa vie. Il fait croire qu’il sort avec son amie d’enfance elle aussi devenue une célébrité pour cacher son homosexualité car ,oui, à Hollywood il y en a encore beaucoup des acteurs dans le placard ayant peur que le fait d’être gay leur ferme l’accès à des rôles. Il vit ainsi sa vie intime dans le secret, presque honteusement. Et dans ces conditions, difficile de pouvoir s’autoriser une histoire d’amour.
L’amour est pourtant à sa portée avec le jeune et beau Will (Chris Zylka) qui est clairement épris de lui. Il est doux, bienveillant mais comment accepter d’être un secret, quelqu’un qu’on cache, qu’on n’assume pas ? Perdu et blessé par le fait de ne pouvoir réellement vivre sa vie comme il l’aimerait à cause des angoisses de sa carrière, ayant l’impression d’être entouré de personnes fausses qui pensent le connaître mais se fichent pas mal au fond de ce qu’il ressent vraiment, John va de plus en plus mal. Quand il retourne dans sa famille, il a le plaisir de retrouver son frère qui l’aime tel qu’il est. Les choses sont plus compliquées avec sa mère (Susan Sarandon), légèrement alcoolique. En ayant évolué à Hollywood, John se sent souvent étranger à sa propre famille. Encore une sphère où il finit par se sentir incompris.
Le petit Rupert, lui, vit seul avec sa mère, Sam (Natalie Portman). Ils viennent d’emménager à Londres. Sam est une comédienne qui a raté sa carrière et essaie de faire en sorte que son petit garçon qui passe des castings réussisse. Leur lien, entre amour et colère, est fort. Sam assiste à la naissance de l’obsession de Rupert pour John. Cet acteur c’est tout pour lui. Il le fait rêver, il le prend pour modèle. C’est une compagnie imaginaire qui permet de s’échapper d’un quotidien étouffant. Rupert n’a en effet aucun ami dans son école, se fait taper dessus parce qu’on le trouve différent. On se moque de lui en le traitant de tapette.
Grâce à leur correspondance, John et Rupert vont éprouver un plaisir au final similaire à celui que peuvent partager un réalisateur et un spectateur. John, tel un réalisateur, expose son histoire sans connaître celui qui la découvrira. Il se raconte, c’est le plaisir d’être écouté, l’espoir de se sentir compris. Rupert, tel un spectateur, reçoit cette histoire qui l’inspire, qui lui fait voir un autre monde. Les écrits de John le font grandir et il a l’impression d’être moins seul. De la tragique histoire de cet acteur dans le placard, il tirera à terme une leçon de vie. Ce lien presque imaginaire a quelque chose de très beau et de bouleversant. C’est du pur cinéma.
Au coeur du métrage il y a cette thématique universelle qui nous rappelle combien les personnes évoluant dans le milieu artistique, avec leurs fêlures actuelles ou passées en bandoulière, peuvent avoir du mal à s’autoriser à vivre. Le cinéma permet d’être un autre, de s’échapper, d’avoir l’illusion d’être aimé. Mais tout est instable et il est si facile de finir par devenir étranger à soi-même et se perdre. John F. Donovan en vient à un point où il ne sait plus qui il est. De là à se dire qu’on n’est plus rien du tout… Il se retrouve seul avec ses mensonges et frustrations.
Rupert n’étant qu’un petit garçon, il aura encore le temps d’apprendre des erreurs de John pour tenter de rectifier sa propre trajectoire. On le découvre adulte (Ben Schnetzer), devenu écrivain, ayant transformé la correspondance aux aspects traumatisants avec Donovan en oeuvre personnelle lui permettant de grandir. Rupert a transcendé une fêlure en un roman. Il se raconte à une journaliste (Thandie Newton) un peu blasée. Cette dernière ironise sur le peu d’importance de ces petites blessures intimes et narcissiques en les mettant en opposition aux véritables enjeux du monde. Mais là encore, un récit va changer un regard, une façon de voir les choses : plus elle écoute Rupert, plus la journaliste en tire quelque chose qui pourrait lui faire voir l’existence différemment.
Ma vie avec John F. Donovan est un film dense, qui déborde, sans doute pas parfait mais c’est indéniablement un grand film. C’est plein à craquer de cinéma, fort, et comme d’habitude Xavier Dolan livre de superbes portraits de garçons à vif et de leurs mamans aimées, détestées, incontournables. On retrouve la minutie des plans du cinéaste, son talent pour insérer la bonne musique qui colle toujours aux émotions. Et en filigrane se croisent deux trajectoires : celle de quelqu’un qui n’a pas réussi à être lui-même et affirmer son identité et son homosexualité et celle d’un autre qui a décidé malgré les épreuves et les déceptions de tenter d’embrasser la vie. A voir !
Film sorti le 13 mars 2019