FICTIONS LGBT
YEARS AND YEARS de Russel T. Davies : LA série de 2019
On était ultra curieux de découvrir la nouvelle série de Russel T. Davies , le génial auteur des séries Queer as Folk (version UK) et Cucumber. Mais Years and Years a clairement dépassé tout ce que l’on pouvait espérer au point de devenir LA série de cette année 2019. Une dystopie renversante, extrêmement intense et émouvante.
Nous suivons, de nos jours, le quotidien d’une famille anglaise : les Lyons. Daniel (Russell Tovey), trentenaire gay, mène une vie paisible quoiqu’un peu planplan avec son compagnon. Il fait sur son lieu de travail la rencontre d’un réfugié qui vient d’Ukraine, Viktor (Maxim Baldry). Stephen (Rory Kinnear) est dans le milieu de la finance et est marié à Celeste (T’Nia Miller). Ils s’inquiètent pour leur fille Bethany (Lydia West) qui est obsédée par les nouvelles technologies au point de rêver de devenir littéralement dématérialisée. Rosie, qui est handicapée, se passionne pour une personnalité politique émergente faisant songer à Marine Le Pen : Vivienne Rook (Emma Thompson). Un soir, alors que tout le monde est chez la grand-mère de la famille, les Lyons reçoivent un appel vidéo d’Edith (Jessica Haynes), soeur de Daniel, Stephen et Rosie. Cette dernière, fervente militante, est à proximité du lieu où éclate une bombe nucléaire lancée par les Etats-Unis sur l’île d’Hong Sha Dao. Cet événement flippant va secouer la famille. Et si la fin était proche et le chaos en marche ? Alors que chacun réalise à quel point la vie ne tient plus qu’à un fil, Daniel fonce retrouver le réfugié Viktor pour lequel il a eu un coup de coeur. Il va tout quitter pour lui. A partir de cette nuit explosive et flippante nous allons suivre l’évolution de la famille Lyons sur plus de 15 ans. Un bond vers le futur des plus angoissants.
La série aurait pu être une simple variation de Black Mirror en pointant les dérives de la technologie et d’un monde qui court à sa perte. C’est notamment le cas à travers le personnage de l’adolescente Bethany qui envisage sérieusement de se dématérialiser, de devenir 100% digitale et qui au final ira de plus en plus vers la robotisation. Le personnage n’est pas jugé et le scénario, malin, montre la fascination et l’excitation pour la technologie, ce qu’elle peut apporter comme liberté mais aussi ses menaces franchement flippantes. Years and Years va bien au-delà de ce que l’on pouvait espérer en étant déjà formidablement incarnée par une troupe de comédiens exceptionnels. Ils sont au service d’un scénario brillant qui dessine des personnages complexes, ambivalents et en même temps profondément humains, universels et attachants.
Aucune dystopie n’était parvenue à paraître aussi palpable qu’à travers la peinture du quotidien de cette famille anglaise à laquelle on peut facilement s’identifier. Et là où on tremble, c’est à travers la façon qu’a le show de nous montrer comme tous les éléments sont déjà en place pour nous faire basculer dans le chaos le plus total et le plus glaçant. D’un coup d’un seul, une bombe peut éclater. On peut se retrouver contaminé. L’environnement se détériore, on le sait, mais on se sent tous impuissants. Jusqu’à ce qu’un jour des ressources finissent par disparaître. On se fille aux banques et aux technologies et puis sans crier gare tout déraille et on se retrouve privé de tous ses biens. On pense avoir accédé à une certaine routine dans notre travail et une crise éclate; nos talents sont remplacés par des machines, on devient précaire, prêts à accepter n’importe quel boulot ou à en cumuler 5 ou 6. On se dit que jamais une Vivienne Rook / Marine Le Pen ne pourrait passer au pouvoir et ça arrive. Et puis les décisions les plus hallucinantes se retrouvent à être prises dans un flot de propagande, de censure et de désinformation. On n’ose regarder en face la crise des réfugiés jusqu’à ce qu’elle nous foudroie en plein coeur.
Tout sonne ici extrêmement et terriblement juste. La série a quelque chose d’implacable. Comme tous les personnages, on est démuni face à ce qui se passe et on ressent leur détresse, leur peur alors que tout s’écroule. Years and Years matérialise avec brio cette sensation qui fait l’effet d’un coup de poignard au coeur quand ce qu’on l’on croyait comme acquis se brise.
L’ensemble est très intelligent, hyper angoissant, mais là où la série accède illico au statut de « culte » avant l’heure c’est par son caractère émouvant. L’épisode 4 est un des épisodes les plus bouleversants vus au cours de la décennie qui se clôture. Dans le rôle de David Lyons, Russell Tovey trouve un rôle romantique inoubliable qui n’est pas prêt de sortir de nos mémoires.
S’il y a bien une chose à retenir de tout ce qui est raconté ici, au-delà des passages tétanisants et riches en émotions, c’est l’alarme face à notre façon d’accepter de façon presque résignée tout ce qui se passe. Bien sûr il y a beaucoup de gens qui se battent aujourd’hui, qui dédient leur vie à des causes, des luttes. Des gens formidables qui informent, militent, manifestent, agissent. Mais la majorité restent juste en état de choc et passif face à ce chaos qui se dessine. On sait que la planète va mal, on sait que les extrêmes montent, on voit les réfugiés, on navigue dans les supermarchés où les machines remplacent les caissières. Et souvent on ne fait rien à part espérer que cela ira mieux. Et on sait que ça risque de vraiment partir en vrille, de très mal se terminer. Mais on est happé par tous ces flux d’infos, ces réseaux sociaux, ces JT en boucle, ces quotidiens qui vont de plus en plus vite. On réalise en voyant Years and Years à quel point tout ce que l’on a aujourd’hui est fragile et susceptible de disparaître. La série nous met K.O et donne vraiment matière à réfléchir. A voir d’urgence.
Série diffusée en 2019 en France sur MyCanal