FICTIONS LGBT
LES AMIS de Gérard Blain : bienfaiteur particulier
Paris, début des années 1970. Paul (Yann Favre) est un très beau jeune homme qui voit doucement son adolescence se terminer. Il vit seul avec sa mère dans un modeste appartement. Il communique peu avec cette dernière, qui semble s’être désintéressée de lui, traînant sa mine fatiguée, pour ne pas dire déprimée, dans la cuisine, regrettant que son enfant ne subvienne pas davantage à ses besoins. Paul pourrait travailler, rentrer dans le rang comme le mari de sa sœur qui se plait à tenter de lui donner des leçons. Mais Paul ne veut pas devenir comme eux, ne veut pas grandir, pas devenir un petit homme ordinaire, au quotidien réglé et somnifère. Il rêve de devenir acteur. Bien entendu, cela dépasse sa famille.
Délaissé dès le plus jeune âge par son père, l’adolescent n’évolue à l’évidence pas dans le bon milieu et n’a pas les bonnes connexions pour espérer faire décoller une carrière. Mais il ne désespère pas. Ce qui l’aide à tenir, c’est sa relation d’amitié avec Philippe (Philippe March). Un homme marié, âgé d’une quarantaine d’années, à qui il plait beaucoup. Un contrat invisible s’est instauré entre eux, dont on ignore (et eux aussi dans le fond) les règles et les limites. Philippe emmène Paul dans de beaux endroits, se plait à lui faire la conversation, à lui transmettre des choses. Si le jeune homme constitue à ses yeux un amant qu’il ne peut vraiment posséder, à l’évidence ce dernier voit en lui un père de substitution, un mentor, un ami particulier. Ils partent ensemble pour quelques jours à Deauville. Ils dorment, dans des chambres communicantes, dans un bel hôtel. Philippe l’encourage à apprendre à monter à cheval. Puis il doit partir. Il laisse Paul à l’hôtel.
Se retrouvant seul, le garçon sympathise avec des jeunes gens de bonne famille en vacances. C’est la première fois qu’il se fait des amis comme ça. On sent le désir qui l’habite d’appartenir à leur monde. Il ment, dit être venu en Normandie avec « son parrain », être issu d’une famille aisée… Son cœur s’emballe alors qu’il se rapproche d’une fille du groupe, Marie-Laure, belle blonde dont il s’est amouraché dès le premier regard. Un obstacle évident à sa complicité avec Philippe (qui ne se formalisera toutefois pas de cette idylle naissante quand il en apprendra l’existence). En quelques mois, la relation pudique qui unit l’homme et l’adolescent va connaître des hauts et des bas en même temps que la vie et ses événements implacables se chargeront de les rattraper…
Léopard d’or au Festival de Locarno en 1971, également présenté en Sélection Officielle à Cannes et salué par François Truffaut, Les amis est le premier long-métrage en tant que réalisateur de l’acteur Gérard Blain. C’est avant tout le portrait d’un adolescent issu d’une classe modeste et qui espère pouvoir un jour se réaliser. Grâce à son amitié particulière avec Philippe, la quarantaine, marié, aisé sans être riche (mais ayant assez d’argent pour pouvoir le gâter, le sortir et l’emmener en vacances), il s’évade, bénéficie d’une certaine éducation. A chaque fois qu’il sort avec son bienfaiteur, Paul se revêt d’un petit costume. Il boit ses paroles, lui témoigne un profond respect. Ils parlent comme deux amis de longue date. Une relation qui aurait pu être malsaine. En effet, Paul n’aurait pu accepter la compagnie de Philippe que pour des raisons matérielles et ce dernier aurait pu abuser de la jeunesse de son protégé. Mais leur relation dépasse largement cela. Ils ont une réelle affection l’un pour l’autre, un respect, une tendresse, qui leur permet de tisser un lien singulier, indescriptible.
Parfois, ils s’y perdent. Quand Paul tombe amoureux pour la première fois et se fait de nouveaux amis, il n’assume pas sa relation avec Philippe. Il ne parle d’ailleurs jamais de lui à sa mère. Un secret honteux ? Pas vraiment, plutôt une façon de se préserver des regards extérieurs. Philippe, très attentionné, ne mentionne bien entendu pas non plus l’existence de son jeune ami à sa femme. Un lien clandestin, mystérieux, basé sur la tendresse, la pudeur (on ne les voit jamais s’embrasser ou faire l’amour, ce qui ne les empêche pas d’échanger des regards parfois bouleversants). Si à l’évidence Philippe aimerait que leurs rapports soient plus sentimentaux, il laisse Paul faire comme bon lui semble, lui laisse vivre librement sa vie de jeune homme, faire ses expériences, même si cela l’amène parfois à s’éloigner de lui. Gérard Blain dépeint ici une relation riche en non dits, poignante. Les deux interprètes principaux sont magnifiques, la réalisation à la fois simple et poétique, d’une délicatesse rare.
« Les amis » est un très beau titre pour un long-métrage qui évoque des relations ambigües, intenses et possiblement destructrices. Outre l’amitié « filiale » qu’il entretient avec Philippe, Paul se rapproche également d’un garçon de son âge, le joli et un poil introverti Nicolas (Jean-Claude Dauphin). Ce sera la seule personne avec qui il évoquera plus ou moins ouvertement le lien qui l’unit à Philippe, qui le comprendra et constituera une épaule compatissante. On devine aussi un certain désir du côté de cet « ami de son âge »… Plaisant beaucoup aux hommes, Paul peine pourtant à séduire les filles. Sa relation avec Marie-Laure se transforme vite en fiasco. Il n’a pas d’expérience, il parle avec son cœur, est encore un enfant qui doute et s’émerveille. Il pourrait n’être qu’un arriviste qui joue de l’attraction qu’il suscite chez les autres mais il apparaît toujours comme honnête, s’excusant presque de ne pouvoir donner plus, de rester ambigu, de n’être qu’un confident, un élève, un fils de substitution.
Dans sa dernière partie, le film se fait déchirant, hantant pour longtemps le spectateur en laissant son jeune héros seul face au monde, bien obligé de grandir. Tout reste possible, notamment grâce aux fruits de l’éducation de Philippe, figure bienveillante, dont l’affection, peu importe sa réelle nature, lui aura permis de sortir de son statut d’enfant pauvre et mal aimé, de croire qu’il pouvait bien valoir quelque chose, être aimé.
Film sorti en 1971 et disponible en dvd aux éditions René Chateau