FICTIONS LGBT
SI TU VEUX de Philipp Karner : les bas du couple
Mark (Philipp Karner), 35 ans, est comédien. Il vit depuis plusieurs années avec son compagnon, Jonah (Denver Milord). Leur relation se délite peu à peu alors que Mark traverse une profonde crise existentielle. Peinant à trouver des rôles, l’acteur doit se contenter de doublages parfois insipides et est de plus en plus blessé dans son amour-propre.Les choses se dégradent encore un peu plus quand sa soeur lui apprend que leur père, avec lequel il entretenait visiblement une relation conflictuelle, vient de mourir. Plutôt que d’en parler à Jonah, Mark intériorise ses souffrances et à force de refoulement devient agressif avec celui qui n’est pourtant que tendresse et soutien. Psychologiquement fragile, Mark prend un nouveau traitement et demande à son copain de l’accompagner à des thérapies pour tenter de sauver leur couple. Mais comme pris dans une spirale infernale, il poursuit son travail d’auto-destruction. La vie à deux devient un enfer…
Premier film en tant que réalisateur du comédien Philipp Karner (qui tient aussi le rôle principal du « comédien à la dérive », Mark), Si tu veux (Like you mean it en VO) est un drame absolument bouleversant. A première vue, Mark est définitivement ce qu’on pourrait appeler un gros connard. Les journées s’enchainent et son agressivité et sa cruauté vis à vis de son compagnon n’ont de cesse de se décupler. C’est peu dire qu’on plaint le pauvre Jonah, garçon doux, adorable, qui ne demande qu’à donner son amour et qui se retrouve face à un mur qui ne fait que détruire tous ses efforts et le rabaisser. La pureté du personnage de l’amoureux blessé qui encaisse les coups est déchirante.
Mark n’est pourtant pas un sale type. Au contraire. Il est juste incapable de parler à coeur ouvert de ce qui le détruit de l’intérieur. En tant que comédien, il doit toujours faire preuve d’assurance, d’enthousiasme. Il ne cesse de répéter à qui veut l’entendre que tout va bien alors que clairement tout fout le camp. En gardant ses blessures enfouies, il se laisse ronger de l’intérieur, suffoque, et rejette toute sa colère et sa haine envers lui-même sur son compagnon qui ne comprend pas du tout ce qui se passe. En émane une violence psychologique et affective terrible. En opposition à l’enfer que traverse le couple, le spectateur suit quelques flashbacks d’un après-midi ensoleillé, un moment où Mark et Jonah s’aimaient follement. Les débuts, probablement…
Disposant d’une écriture très fine et sans concession, porté par deux acteurs extrêmement émouvants qui composent des personnages complexes et attachants qu’on a envie de prendre dans nos bras, Si tu veux est un drame qui appuie souvent là où ça fait mal, montrant les pires bas qu’un couple peut rencontrer. Le plus terrible là-dedans est l’évidence de l’amour qui existe encore entre ces deux garçons et que Mark semble s’interdire d’accepter. Dehors il fait beau, la vie continue, le calme règne d’une façon presque inquiétante. Avec subtilité et sensibilité, Philipp Karner sonde la descente aux enfers d’un homme qui perd toute confiance en lui et qui se transforme en bourreau involontaire. Jusqu’à un final qui ne manque pas de mouiller les yeux, Si tu veux suscite des émotions fortes et prend aux tripes.
Film sorti en 2015 et disponible sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen