CINEMA
LES POUPÉES DU DIABLE de Tod Browning : rétrécir ses ennemis
Deux hommes s’échappent de prison : Marcel (Henry B. Walthall) et Paul Lavond (Lionel Barrymore). Ils vont se réfugier chez la femme de Marcel qui ne l’espérait plus, Malita (Rafaela Ottiano). Les deux hommes ont construit une certaine complicité derrière les barreaux mais se découvrent vraiment une fois en liberté. Paul Lavond expose sans gêne son désir de vengeance : il a été envoyé en taule alors qu’il était innocent, victime d’anciens collègues banquiers (dont l’un s’appelle Monsieur Radin). Pour sa part, Marcel retrouve chez lui l’œuvre de sa vie : son laboratoire. Lui et sa femme ont eu l’ingénieuse idée de rétrécir les êtres humains. Si tout le monde était beaucoup plus petit, il y aurait beaucoup plus de nourriture et tout le monde pourrait manger à sa faim, pensent-ils. Mais leur invention n’est pas encore très au point : les personnes rétrécies perdent leurs facultés mentales et deviennent de simples pantins obéissant aux désirs de leur propriétaire. Alors qu’une expérience tourne mal, Marcel décède. Sa femme Malita compte bien poursuivre son œuvre et convainc Paul de l’aider. Après tout, il pourrait bien se servir de leur invention pour rétrécir ses ennemis…
Adaptation d’une œuvre de Abraham Merritt, Les poupées du diable est l’avant dernier film de Tod Browning (connu pour son film culte Freaks). Une œuvre qui ,a bien des égards, a tout d’un conte cruel. Au cœur de l’intrigue : l’argent et le pouvoir. C’est ce qui a conduit les anciens collègues de Paul Lavond à le trahir et c’est un manque de ressources pour survivre qui a fait germer l’idée d’un rétrécissement des êtres humains dans les cerveaux malades de Marcel et Malita. Mais pas que. Chacun ici est porté par son égo (les inventeurs se voient bien changer l’humanité entière), sa réputation (ce qui hante le plus Paul Lavond est l’idée que sa fille abandonnée le perçoive à jamais comme un criminel). Le désir de reconnaissance, l’obsession de l’honneur, conduisent nos personnages à une certaine loi du Talion.
Paul et Malita vont s’installer à Paris où ils vont ouvrir un petit magasin rempli de jouets mêlés aux animaux et êtres humains qu’ils ont rétrécis. Problème : Paul Lavond est recherché partout, une rançon est offerte. Il se déguise alors en grand-mère et devient Madame Mandelip pour mieux tromper ses ennemis et tenter de briser leur vie en les rétrécissant. Alors qu’on voit déambuler cette Madame Mandelip avec son petit panier et son poison, il est difficile de ne pas penser à une sorcière de conte de fées. L’action du film se situe dans un Paris à la fois de carte postale mais aussi composé de recoins obscurs. Tod Browning nous entraine dans un univers réaliste teinté de fantastique avec ses fausses sorcières et ses vrais savants fous.
Les effets spéciaux de cette œuvre ambitieuse pour l’époque n’ont pas trop mal vieillis. On suppose que la technique utilisée est celle du travelling matte (opposition d’un personnage filmé en plan d’ensemble à un élément/personnage filmé en gros plan) même si des décors géants avaient été construits pour certaines scènes. Les passages où un humain devenu pantin se laisse guider pour piquer avec une aiguille et ainsi amener une autre personne à rétrécir sont toujours aussi fascinants. Ou comment l’Homme peut devenir un pantin, être totalement asservi, perdre la pensée, répandre le mal. Comme une sorte d’hypnose (les pantins sont guidés par télépathie).
La réussite des Poupées du diable tient dans un délicieux mélange d’ambiance de conte, de film fantastique, de chronique familiale et d’humour noir. Au final ce long-métrage nous montre jusqu’où nous pouvons aller pour l’amour d’un compagnon ou membre de sa famille, pour honorer le travail d’une vie ou une mémoire. Tout cela ne se faisant pas sans sacrifices. La morale de cette histoire semble en effet être que le bonheur des uns ne s’obtient que par le sacrifice ou la destruction d’un autre. En ce sens, le faux happy end est assez bouleversant.
Film sorti en 1936 et disponible en DVD