FICTIONS LGBT
FRISK de Todd Verow : morbide excitation
Comme beaucoup d’adolescents, Dennis (Michael Gunther) fut attiré par la pornographie. Mais contrairement aux autres, il avait la possibilité de feuilleter des tas de magazines X dans une boutique près de chez lui. Le propriétaire (pervers) le laissait tout regarder sans broncher. Un jour, cet homme énigmatique a proposé à Dennis de regarder des photos érotiques « particulières ». Des photos d’hommes nus…morts. Ces images sont restées gravées dans la tête du jeune homme qui se sentait déjà un peu excité par l’univers SM.
Le temps passe et Dennis est désormais un mec à l’apparence clean, tout ce qu’il y a de plus charmant. Il fréquente Julian, un prostitué qui va partir tenter sa chance à Paris. En son absence, Dennis se rapproche du frère de Julian, le fragile et mystérieux Kevin (Raoul O’ Connell). Julian et Kevin entretenaient une relation à la frontière de l’inceste…Mais très vite, Dennis avance seul dans sa quête effrénée de plaisir et de violence. Il revoit Henry, un jeune homme masochiste qui aime se faire martyriser quand il est sous drogue. Il commence également une liaison avec un gigolo / acteur porno…Tout cela pour finalement être prêt à passer à l’acte ? Alors qu’il se lie d’amitié avec un couple de détraqués hétéros, Dennis s’apprête à tuer des jeunes hommes innocents. Juste pour le plaisir…
Adaptation de l’œuvre sulfureuse de Dennis Cooper, Frisk est une des rares œuvres du cinéaste Todd Verow a avoir bénéficié d’un budget un minimum consistant. C’est donc en apparence son film le plus « cadré », le plus « pro ». Et pourtant c’est peut-être aussi un des plus barrés. Si des maladresses dans le jeu des acteurs et des effets kitschs (musique très 90’s et « effets de sang » pas toujours réalistes) sont à noter, le film est une énorme curiosité et instaure une atmosphère troublante pour ne pas dire traumatisante. Date de sortie inconnue en France, apparemment il semblerait que Frisk ne soit jamais arrivé jusque dans nos salles obscures. Produit en 1995, il connaitra une seconde vie à travers le monde grâce à ses différentes éditions DVD. Et on aimerait bien lui coller l’étiquette de « film culte ».
Impossible de ne pas se sentir mal à l’aise face au spectacle que propose Todd Verow. A la fois son œuvre est assez artificielle (dans le bon comme dans le mauvais sens du terme mais on est pas prêts d’oublier ces souvenirs pornographiques de Dennis ado, des images érotiques qui défilent et tournent comme un disque sur une platine, partageant cette sensation de plaisir et de vertige) et en même temps certaines scènes sont d’un réalisme à faire froid dans le dos. C’est le cas notamment pour les passages avec le personnage d’Henry. Un garçon complètement largué, toujours défoncé, masochiste. Le voir tomber et se remettre totalement entre les mains de ses amants, quitte à risquer sa vie, laisse sans voix. L’érotisme, l’excitation, se mêle au morbide et Todd Verow touche des choses très obscures chez le spectateur, quitte à provoquer un rejet. Henry finira par aller trop loin (ou bien justement là où il voulait aller) : il fera un plan avec un sadique qui abusera de lui jusqu’à la mort, le pénétrant avec son couteau.
Todd Verow brouille les codes, se fiche des genres. Frisk est un mélange entre une sitcom acide, un film porno et un thriller. L’équilibre est forcément fragile mais les sensations sont fortes. Tout ici est tendancieux, on provoque l’excitation pour mieux nous entrainer dans les pires extrêmes. On a le droit d’en ressortir choqué, traumatisé, voire outré. On retrouve l’esprit des premiers livres de Bret Easton Ellis, le portrait d’une jeunesse en fuite, tellement larguée qu’il n’y a plus aucun interdit.
Regarder Frisk, c’est un peu comme se faire un plan cul trash. On risque de se sentir mal pendant et après mais en même temps il y a du plaisir, de la fascination, peu de temps morts. Je ne peux donc que vous conseiller (à moins que vous soyez une âme sensible) cette plongée dans la tête d’un jeune serial killer gay. Car mine de rien (et contrairement à ce que les rares critiques qui l’avaient vu en festival à l’époque aient pu dire) cette œuvre est tout sauf « gratuite ». C’est une expérience, le portrait d’une jeunesse gay à bout pour qui la mort est le dernier fantasme et extrême possible. C’est un film bizarrement pop mais de plus en plus sombre et barré. L’histoire s’achève sur la prise d’une photographie. C’est à partir d’une photographie que tout à commencé et que l’œuvre se termine (cercle vicieux , passage de la « victime » au bourreau ?). Une image morbide, qui a révélé à Dennis sa terrible nature. Ne jamais sous estimer le pouvoir des images…
Film produit en 1995