CINEMA
L’AUTRE de Patrick Mario Bernard & Pierre Trividic : la jalousie est un vilain défaut
Anne-Marie (Dominique Blanc) est une femme de 47 ans tout ce qu’il y a de plus normal. Elle travaille comme assistante sociale, effectue son métier avec délicatesse. Délicate est également cette rupture qu’elle provoque avec son amant Alex (Cyril Gueï), bien plus jeune qu’elle. Il veut s’installer, construire, elle a envie d’indépendance, elle a déjà divorcé et veut sa liberté. Et pourtant…lorsqu’Anne-Marie découvre qu’Alex a trouvé une nouvelle compagne, et surtout que celle-ci a exactement le même âge qu’elle, elle a du mal à encaisser le coup. Elle veut savoir. Qui est celle qui lui succède ? Quel est son prénom ? Que fait-elle dans la vie ? Où vit-elle ? Alex refuse de lui délivrer les informations qu’elle réclame puis finit parfois par céder, faisant quelques révélations. Plongée dans un quotidien fait de regrets, de solitude, d’angoisses, Anne-Marie devient obsessionnelle. Elle mène son enquête, espère que le nouvel objet de l’affection d’Alex « crève ». Puis elle se met à se détester elle-même et tombe de plus en plus dans une certaine folie…
Adaptation du récit d’Annie Emaux, L’occupation, le deuxième long-métrage de fiction de Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic témoigne d’une belle singularité. On le sent dès les premières secondes : ce film ne sera pas comme les autres. L’ouverture, majestueuse, se fait sur des plans d’autoroutes. Des voitures aux lumières blanches vont dans un sens, d’autres voitures de lumières rouges vont dans l’autre. Comme deux êtres qui iraient dans deux directions opposées, des routes qui se croiseraient pour mieux se séparer. Des routes, des chemins, il y en a beaucoup dans L’autre. Passages sous terrains, escalators, marches nocturnes…Le personnage d’Anne-Marie avance mais est-ce pour évoluer ou pour mieux se perdre ?
D’un drame sentimental et intimiste on bascule dans un thriller étrange. Le montage joue avec nos sens, provoque le malaise, nous amène à nous perdre. C’est toute la confusion post-rupture que le duo de réalisateurs parvient à nous faire ressentir à l’aide de flashbacks, flash forwards, passages réels ou fantasmés. Cette œuvre audacieuse se permet même une petite incursion vers le film de genre, fantastique, d’anticipation (cette mystérieuse boite d’alarme que possède Anne-Marie pour la protéger au quotidien mais qui ne fait que mieux traduire son enfermement). La réalisation virtuose s’allie à un scénario intrigant et malin qui pousse le spectateur à envisager de multiples pistes pour mieux comprendre l’ambivalente héroïne, aussi fragile que terrifiante. Dominique Blanc, primée à Venise pour sa prestation, est éclatante de justesse et met à disposition tout son talent pour refléter l’ambiguïté d’une femme perdue et blessée.
L’autre c’est bien entendu cette autre femme qui rentre dans le cœur d’Alex. Mais c’est aussi Alex directement, « l’autre », l’être aimé, celui dont on ne peut se séparer. C’est surtout aussi l’autre Anne-Marie qui se dessine face à la jalousie : menaçante, brutale. Enfin, c’est l’autre en général, comme les filment de loin les réalisateurs, ces gens de la banlieue, ces personnes en difficultés qu’Anne-Marie rencontre dans le cadre de son travail social. Ce long-métrage parfois étouffant dresse le portait d’une solitude urbaine terrifiante. Tout le monde se sépare. Les couples car ils ne s’entendent plus, les amis car la mort l’emporte toujours, même les liens entre un auditeur et une animatrice radio peuvent être destructeurs et source de manque affectif. Plutôt que de nous plonger dans un climat plombant et dépressif, L’autre préfère jouer la carte du mystère et c’est tant mieux. Qui est vraiment Anne-Marie ? Devient-elle vraiment schizophrène ? Cette autre femme existe-t-elle vraiment ? L’œuvre reste ouverte, subtile et maitrisée. Un film qui ne manquera pas d’en retourner plus d’un.
Film sorti en 2009 et disponible en VOD et DVD