FICTIONS LGBT
L’HOMME BLESSÉ de Patrice Chéreau : rencontre fatale ?
Henri (Jean-Hugues Anglade) est un jeune homme qui avance sans trop savoir où il va. Alors que sa sœur quitte l’appartement familial, l’excitation règne autour de son départ. Tout le monde se presse pour aller à la gare le jour J et tout le monde se retrouve finalement à attendre que le train arrive. Henri traine dans le coin, remarque qu’un homme plus âgé le suit. Quelque chose cloche. Et puis voilà qu’Henri se retrouve nez à nez avec un beau trentenaire qui lui offre une boisson. Il s’appelle Jean (Vittorio Mezzogiorno). Henri le retrouve plus tard alors qu’il descend aux toilettes. Jean tabasse un homme qui l’a payé, un client consentant adepte de la violence. Effrayé, Henri ne sait plus du tout où il en est alors que Jean l’embrasse et lui demande de tabasser à son tour son client.
Dès lors plus rien ne sera comme avant. La tension qui monte au foyer, l’obsession pour ce trentenaire intrigant : Henri se perd à l’heure de ses premiers désirs qu’il découvre dans la violence la plus totale. Il se retrouve à suivre Jean et découvre qu’il vit en couple avec une femme. Les mecs, pour lui ce ne serait donc que pour l’argent ? Henri entend des rumeurs, Jean aurait déjà poussé plusieurs jeunes hommes à la prostitution, à la déchéance. Mais il parait qu’Henri n’est pas comme les autres…Les jours passent et le jeune homme sombre de plus en plus dans la névrose, incapable de cerner l’objet de son affection, de rentrer dans son univers. Et il y a toujours cet inconnu plus âgé de la gare qui le suit, qui s’est entiché de lui. Emporté par la force et la douleur de la passion, jusqu’où Henri dérivera-t-il ?
Présenté en 1983 au Festival de Cannes, L’Homme Blessé ne manqua pas de faire scandale. Les hétérosexuels comme les gays y voyaient une représentation sinistre de l’homosexualité, uniquement basée sur les rapports de force, la violence. On avait entendu le même refrain par exemple pour l’excellent thriller Cruising. Dans l’Homme blessé, l’homosexualité est certes au cœur du projet mais n’est qu’une donnée, une orientation sexuelle des personnages. Il est avant tout question d’une passion destructrice entre un trentenaire dangereux et un jeune homme naïf. Jean-Hugues Anglade prête ses traits au personnage d’Henri. A peine sorti de l’adolescence, excité par l’inconnu mais extrêmement fragile. Il reste la plupart du temps muet, observe un nouveau monde où il n’est pas certain de pouvoir devenir un acteur à part entière. Anglade se donne à 200% pour ce rôle sur le fil. A tout moment on a l’impression qu’Henri va se briser définitivement. On assiste à une lente descente aux enfers et le mal être qui habite le jeune homme se propage jusqu’à nous pour une séance au final très dérangeante, qui ne cesse de nous bousculer.
Chéreau déploie un habile et terrifiant jeu du dominant-dominé et montre l’extrême solitude de chacun de ses protagonistes. Dans le fond personne ne sait qui il est vraiment, se détruit, refuse de sortir d’un climat propice à la négation de soi. Au milieu de toutes les préoccupations et des désirs, il y a Jean. Trentenaire sexy, vénéneux, insaisissable, qui blesse tous ceux qui l’entourent plus ou moins consciemment. Pour Henri il est à la fois un fantasme absolu et un modèle. Mais sa vie reste mystérieuse, on a bien du mal à savoir ce qu’il attend, où il va. On devine simplement que tout ce qui est caché ne l’est pas fait sans raison, que derrière son irrésistible séduction se cachent des choses terriblement glauques.
Il est difficile de poser des mots sur pareille œuvre. On a la sensation de déambuler dans un cauchemar, on ne fait plus bien la différence entre le jour et la nuit. Le désespoir est partout et plus le scénario se déploie et moins une porte de sortie semble envisageable. On est tenus par un mystère omniprésent, des rapports flous entre des hommes qui se cherchent, se provoquent, se désirent et se méprisent. Tout est à vif, malsain. Un grand choc.
Film sorti en 1983 et disponible en DVD et VOD