FICTIONS LGBT
BENT de Sean Mathias : amour au coeur du chaos
Berlin, 1934. Au milieu des ruines, les fêtes clandestines battent leur plein. Travestis sur la scène, amours lesbiennes et gays naissent au grand jour. Ca boit, ça batifole… Max (Clive Owen), brun ténébreux, s’offre une soirée des plus chaudes avec un soldat SA. Ce qui n’est pas pour plaire à son compagnon Rudy (Brian Webber), jeune danseur qui commence à être fatigué de ses excès. Pas le temps pour une scène de ménage : la Gestapo débarque chez Max au petit matin pour exécuter le soldat. Max et Rudy se retrouvent en cavale. Ils ne mettront pas longtemps avant d’être retrouvés par les nazis et finissent dans un train à destination d’un camp de concentration.
Le voyage est cauchemardesque : Rudy est torturé parce qu’il porte des lunettes et on demande à Max de l’achever pour prouver qu’il n’est pas homosexuel. Sur les conseils de Horst (Lothaire Bluteau), un gay inconnu et compagnon d’infortune, il s’exécute. Il devra aussi, pour prouver sa virilité, violer une jeune adolescente morte devant des nazis hilares… Arrivé au camp, Max ne pense plus qu’à survivre et tente d’oublier les horreurs qu’il a été contraint de commettre. Il paie un officier pour que Horst vienne travailler avec lui dans sa section. Les deux hommes se retrouvent seuls, mais sous surveillance, à déplacer des pierres de gauche à droite et de droite à gauche (une tâche qui n’a aucun sens, si ce n’est de les rendre fous). Pour éviter de sombrer, Max et Horst se font la conversation et petit à petit, au milieu de l’enfer concentrationnaire, tombent amoureux…
Adaptation de la pièce éponyme culte de Martin Sherman, Bent nous plonge dans un Berlin festif et extravagant avant de nous faire basculer dans l’enfer des camps de concentration. Clive Owen, magnifique, campe le rôle de Max, jouisseur égoïste qui se retrouve à abandonner et violenter son compagnon pour sauver sa peau. Au camp, alors que Horst lui témoigne de l’affection, il refuse l’idée même d’avoir à nouveau des sentiments. Il veut tirer un trait sur sa vie de gay, il a été jusqu’à violer une morte pour avoir l’étoile juive plutôt que le triangle rose. De son compagnon, il finit par oublier le nom. Dans le train où ce dernier perdit la vie, Max ne cessait de se répéter que tout cela n’était pas en train d’arriver. Mais si. Et dans le camp, l’enfer continue, les nazis multipliant les jeux sadiques pour asseoir leur soif de domination.
Pourtant, malgré un quotidien terrible où tout est fait pour pousser à bout les captifs, Max et Horst s’inventent en quelque sorte un monde. Pouvant à peine se regarder droit dans les yeux (si un nazi les voyait, ils seraient exécutés sur le champ), les deux hommes oublient leur corps pour se consacrer à l’âme, la parole. Peu importe toutes les pierres qu’ils doivent déplacer, ils se parlent pour rester en vie. Ils se parlent aussi pour se réconforter, pour simuler un rapport charnel (deux des plus belles scènes du film), pour apporter un peu d’amour au milieu du chaos.
Progressivement, Max, devenu insensible pour survivre, finira par retrouver son humanité, son identité, jusqu’à revêtir la combinaison au triangle rose… Le film s’appuie sur les textes magnifiques de la pièce originale, ici accompagnés d’une mise en scène élégante, dotée de nombreux plans d’ensemble jouant de la beauté étrangement poétique et glaçantes des ruines, des camps aux allures d’enfer désert. Puissant.
Film produit en 1997 et disponible en DVD et VOD